Apprendre à classer et à sélectionner: L’enseignement de l’eugénisme, de l’hygiène raciale et de la raciologie dans les universités allemandes (1930-1945)

Benoit Massin

 Apprendre à classer et à sélectionner

L’enseignement de l’eugénisme, de l’hygiène raciale et de la raciologie dans les universités allemandes (1930-1945)

         « Comme l’organisme qui sacrifie impitoyablement les cellules dégénérées,

comme le chirurgien qui fait impitoyablement l’ablation d’un organe malade,

tous deux afin de sauver l’ensemble; de la même façon, [(…) l’État] – ne doit pas,

par des craintes exagérées, reculer devant l’empiétement sur la liberté individuelle

afin d’empêcher les porteurs de traits pathologiques héréditaires

de continuer à faire traîner le noyau pathogène de génération en génération ».[1]

 

Cette citation ne provient pas de Mein Kampf (1924) de Hitler, mais d’un traité, L’hérédité chez l’homme, publié sous forme d’article en 1914 par le médecin anatomiste Heinrich Poll, à qui fut confié en 1922 le premier poste de professeur extraordinaire de « génétique humaine » (menschliche Erbkunde) en Allemagne. Poll était un eugéniste militant. Il enseignait déjà l’eugénisme à l’Université de Berlin en 1921 et était membre du comité directeur de la Société Allemande d’Hygiène Raciale depuis 1927. Ensuite titulaire de la chaire d’anatomie à la Faculté de médecine de Hambourg de 1924 à 1933, Poll, après avoir contribué à préparer avec le généticien Richard Goldschmidt un projet de loi de stérilisation eugénique sous la République de Weimar en 1932, continuera pendant les six premiers mois du régime nazi à organiser des séminaires d’eugénisme pour former les enseignants des écoles de Hambourg.[2] En 1933, Poll est le premier professeur de la Faculté de médecine de Hambourg démis de ses fonctions universitaires et privé de laboratoire en raison de ses origines « non aryennes ».[3] Il hésite d’abord à émigrer en l’absence de poste à l’étranger, car il perdait alors la « retraite » que l’État nazi lui versait. Des scientifiques étrangers, tel l’anthropologue américain Franz Boas, tentent sans succès de l’aider à trouver un poste en Europe occidentale et l’aident en partie financièrement pour poursuivre quelques recherches. En 1936, après des tentatives infructueuses en Suisse, il ne parvient pas davantage à se voir confier un poste à l’Institut Royal d’anthropologie de Londres, malgré ses études anthropologiques sur les groupes sanguins des diverses « races » de l’Archipel britannique. Il poursuit également une étude de « crimino-biologie » (Kriminalbiologie : une théorie biologique et médicale du crime, d’orientation eugéniste) où il cherche « à démontrer qu’il existe des différences entre les empreintes digitales normales d’une part et criminelles d’autre part ». Cette recherche permettrait ainsi de distinguer, par un détail de leur corps, les « criminels héréditaires » des honnêtes citoyens.[4] Il émigre finalement en Suède où, incapable de refaire sa vie, il finit par se suicider en 1939. Quant au généticien Goldschmidt, lui aussi d’origine juive, il émigra aux Etats-Unis, d’où il se plaignit que les nazis avaient repris « tel quel l’ensemble du projet » de stérilisation eugénique sans même « mentionner son origine ».[5]

En 1972, le journal officiel de la profession Deutsches Ärzteblatt, reçu par tous les médecins de la RFA, célébrait son centenaire par une série d’articles historiques couvrant la période 1872-1972.[6] L’auteur de la série d’article, le Pr. Volrad Deneke, bientôt secrétaire général de la Chambre Fédérale des Médecins (de 1974 à 1984), l’équivalent allemand de l’Ordre des médecins, s’y montrait fort discret sur la période nazie.[7] Il faut dire que le Pr. Deneke était lui-même un ancien membre du Parti nazi et Führer local des Jeunesses Hitlériennes[8]. Et il était loin d’être le seul dans ce cas puisque le corps médical était avec les juristes l’une des deux catégories socioprofessionnelles les plus nazifiées de l’Allemagne nazie : 69% des médecins allemands étaient membres d’au moins une des quatre principales organisations nazies (Parti Nazi, SA, SS et Ligue des Médecins nationaux-socialistes).[9]

La loi du silence régnant chez les médecins allemands au sujet de la période nazie, où ils risquaient d’être personnellement et collectivement mis en cause, n’avait donc rien de très étonnant.[10] Le discours officiel, entre 1945 et les années 1980, lorsqu’ils devaient absolument parler de cette période, consistait à disculper les médecins allemands de toute accusation, à les présenter comme les innocentes et héroïques victimes d’une terrible dictature. Certes, il y avait eu une poignée de médecins SS fanatiques qui avaient fait des choses horribles dans les camps. Vingt médecins avaient été jugés et punis au « Procès des Médecins » de Nuremberg.[11] Mais ils représentaient un pourcentage infime du corps médical. Et, arguaient certains, il y avait du déchet dans toutes les professions, pas plus chez les médecins que chez les autres. Hormis cette poignée de fanatiques, non représentatifs de la profession, tous les maux et tous les crimes du régime étaient à mettre sur le compte des politiciens nazis ignorants. Globalement, les médecins, eux, n’avaient rien à se reprocher.[12]

Par exemple, en matière d’eugénisme, dans l’article où il évoquait la période nazie, Deneke attribuait aux seuls dirigeants nazis, « l’idéologisation du corps médical » et l’imprégnation de la médecine par les idées eugénistes : « Avec le début du IIIe Reich, (…) les opinions toutes faites et les demi-vérités des camarades du Parti National-Socialiste en matière d’eugénisme et d’hygiène raciale commencèrent subrepticement à faire leur entrée, sous le manteau du sérieux scientifique, dans la presse médicale spécialisée et par conséquent aussi dans la presse du corps des médecins allemands ».[13]

Cette idée selon laquelle l’eugénisme et l’hygiène raciale se seraient introduits « subrepticement » à partir de 1933 dans la presse médicale allemande, grâce aux idéologues du Parti nazi, va plutôt dans le sens de ce que l’on voudrait croire. Tout ceci n’avait rien de scientifique et les universitaires sérieux ne pouvaient y croire – d’autant moins que la médecine scientifique allemande tenait le premier rang dans le monde. Mais est-ce que cela correspond à la réalité historique ?

En fait, absolument pas. D’abord rappelons quelques dates pour recadrer la chronologie. Il faut savoir que l’eugénisme avait pignon sur rue dans le monde médical et universitaire germanophone bien avant que Hitler ne fasse parler de lui.[14] L’anatomiste Heinrich Poll, cité en introduction, n’était pas un cas exceptionnel. L’admission de la « Société Allemande d’Hygiène Raciale » – ainsi que s’appelait la société eugéniste allemande – au sein de la très prestigieuse et respectable « Société des Médecins et Naturalistes allemands » – la principale société scientifique des médecins chercheurs et biologistes en Allemagne – date, non de l’arrivée de Hitler au pouvoir (1933), mais de vingt ans plus tôt, en 1913.[15] Le corps médical allemand et son élite universitaire accueillirent à bras ouverts les idées eugénistes au sein de leur plus grande société scientifique vingt ans avant que les nazis ne gouvernent le pays. Cette intégration dans une société académique signifie que l’eugénisme était considéré, dans la période 1910-1945 (et même au-delà) comme un sujet scientifique devant être débattu dans une société scientifique au même titre que l’hygiène ou la bactériologie.

Rappelons aussi que les éditeurs des deux plus grands hebdomadaires médicaux allemands – Julius F. Lehmann et Julius Schwalbe (le premier étant un pangermaniste antisémite et futur sympathisant de Hitler, et le second étant juif plutôt libéral) – étaient déjà membres de la Société Allemande d’Hygiène Raciale avant la 1ère Guerre mondiale.[16] Cela facilita la diffusion des idées eugénistes dans la presse médicale allemande. Et les revues médicales allemandes étaient imbibées d’idées eugénistes dès les années 1920. Ce genre d’idées se retrouvent aussi dans les congrès médicaux les plus ordinaires, comme ceux des hygiénistes ou des psychiatres.[17] Par exemple, en 1925, le Pr. Robert Gaupp, détenteur de la chaire de psychiatrie de l’Université de Tübingen (de 1906 à 1936), fait son intervention au congrès annuel de l’Association allemande de Psychiatrie sur « La stérilisation des malades et inférieurs mentaux et moraux ».[18] Contrairement à ce qu’affirme Deneke, les revues médicales allemandes n’attendirent donc pas 1933 pour proclamer la nécessité d’une politique eugéniste.

Toujours selon Deneke, la loi de stérilisation eugénique du 14 juillet 1933 aurait été « imposée » à un corps médical récalcitrant. On imagine que pour imposer une telle loi à un corps médical récalcitrant, il aurait fallu une véritable armée de policiers, vu le nombre de médecins impliqués. En effet, au nom de cette loi, 10 millions de fiches médico-génétiques personnelles sur les citoyens du Reich allemand ont été établies dans 1100 Offices de Santé locaux et régionaux, par 2600 médecins fonctionnaires, aidés par 10 000 autres médecins.[19] 1 million de citoyens du Reich ont été signalés pour stérilisation par des médecins des hôpitaux, des asiles, ou exerçant en cabinet privé. Leur cas a été évalué par 205 « Tribunaux de Santé Héréditaire » (Erbgesundheitsgerichte = EGG) et 18 « Tribunaux d’Appel de Santé Héréditaire » (Erbgesundheitsobergerichte = EGOG). Chaque tribunal, présidé par un juge ou son assesseur, comptait six médecins, dont deux siégeaient (et quatre suppléants), l’un en tant que médecin fonctionnaire (de l’Office de Santé local) et l’autre, spécialiste des questions d’hérédité ou des pathologies et handicaps visées par la loi. Cela représente encore plus de 1300 médecins décideurs, dont une partie significative – au moins un par tribunal, que ce soit en tant que membres de ces « Tribunaux de Santé Héréditaire » ou produisant des expertises pour ces tribunaux – étaient des psychiatres ou travaillaient dans des asiles psychiatriques[20] (et de fait, plus de 90% des personnes stérilisées l’ont été dans le cadre d’un diagnostic du secteur psychiatrique – si l’on y inclut la « faiblesse d’esprit congénitale »).[21] Des professeurs à la faculté de médecine siègent dans les Tribunaux locaux (EGG): le généticien humain Otmar von Verschuer (Berlin), Pr. Walter Blumenberg, de l’Institut d’Hygiène de Bonn, puis directeur de celui de Breslau ; Pr. Karl-Ludwig Pesch, de l’Institut d’Hygiène Cologne ; etc.

Au niveau des « Tribunaux d’Appel » (EGOG), nous constatons, dès la première liste établie en 1933, une très forte présence des médecins universitaires, et en particulier de professeurs de psychiatrie. À Berlin, les trois spécialistes sont tous trois des psychiatres : le célèbre Karl Bonhoeffer, détenteur depuis 1912 de la chaire de psychiatrie et directeur de la Clinique psychiatrique universitaire à la Charité (dont deux fils seront exécutés en tant que résistants au nazisme) ; le Pr. Rudolf Thiele, de l’asile de Witenau et professeur à  Faculté de médecine; le Dr. Kurt Pohlisch, maître de conférence en psychiatrie à la Faculté de médecine (en 1934, il sera nommé à la chaire de psychiatrie de l’Université de Bonn et sera un expert de l’euthanasie T4). Parmi les « fonctionnaires » figurent également deux célébrités : Le Conseiller ministériel du Ministère de l’Intérieur de Prusse, bientôt directeur du Département des affaires sanitaires du Ministère de l’Intérieur du Reich et futur « Führer de la Santé du Reich » (Reichsgesundheitsführer, à partir de 1939) Dr. Leonardo Conti[22] (membre de la SS depuis 1933, il atteindra le niveau quasiment le plus haut de SS-Obergruppenführer = général de la SS); et le Pr. Eugen Fischer, professeur d’anthropologie biologique à l’Université de Berlin et directeur de l’Institut Kaiser Wilhem d’Anthropologie, de Génétique Humaine et d’Eugénisme, l’un des scientifiques hygiénistes raciaux les plus d’influents d’Allemagne avec l’hygiéniste Fritz Lenz et le psychiatre Ernst Rüdin.[23]

Parmi les experts berlinois un peu plus tardifs, un neuro-psychiatre deviendra internationalement célèbre : Hans Gerhard Creutzfeldt, qui a donné en 1920-1921, avec un autre neuro-psychiatre allemand, son nom à la « maladie de Creutzfeldt-Jakob » dont on a récemment beaucoup parlé (avec la « maladie de la vache folle »). Avant d’obtenir la chaire et la direction de l’Institut de psychiatrie et de neurologie de l’Université de Kiel en 1938, Creutzfeldt a enseigné la psychiatrie en tant que professeur non titulaire à l’Université de Berlin et exercé comme médecin chef à la Clinique psychiatrique et neurologique de la Charité, dans la même ville.[24] Il siégea à la Cour d’Appel de Santé Héréditaire de Berlin pour décider de stérilisation.[25] En 1936, il participe en tant qu’orateur à Berlin à un séminaire de formation sur les maladies héréditaires pour les médecins. Le séminaire est organisé par le professeur de psychiatrie Karl Bonhoeffer. Y participent une douzaine de spécialistes, dont le célèbre neurologue Julius Hallervorden (pour le « syndrome de Hallervorden-Spatz »), bientôt codirecteur de l’IKW de Recherche sur le Cerveau, le neuro-psychiatre Hans Heinze, un futur responsable de l’euthanasie des enfants qui fournira l’IKW de Recherche sur le cerveau avec des centaines de cerveaux d’handicapés mentaux victimes de l’euthanasie, et le professeur d’ophtalmologie berlinois Walter Löhlein (qui intervient sur « La cécité héréditaire »).[26] Creutzfeldt expose les résultats de son activité d’expert en matière d’épilepsie pour le Tribunal de santé Héréditaire. Seuls les épileptiques dont le mal est d’origine héréditaire sont stérilisés et tout le travail de l’expert consiste à distinguer les épileptiques héréditaires des épileptiques qui doivent leur problème neurologique à des causes externes (traumatisme crânien, encéphalite, etc.). Les patients sont examinés sous toutes les coutures avec les techniques les plus modernes de l’époque (électro-encéphalogramme, qui vient d’être mis au point en Allemagne, radiographie du cerveau), mais la méthode pour indiquer une origine héréditaire reste assez primitive : hormis exclure de ce groupe tous ceux dont on peut attester une origine traumatique ou infectieuse, elle se limite à repérer la présence d’autres cas d’épilepsie dans la même famille.[27] L’absence de cause connue et la présence d’un autre membre de la famille épileptique suffisent à déclencher la procédure. La même année, Creutzfeldt apporte dans le journal Medizinische Welt les réponses du « spécialiste » aux questions que se posent les médecins ordinaires. L’un d’eux s’interroge sur le diagnostic et l’étiologie de la schizophrénie – une des principales catégories de patients stérilisés : ce trouble est-il toujours d’origine héréditaire ou peut-il y avoir des causes exogènes ? Le Pr. Creutzfeldt répond que, quelque soit le facteur déclenchant, « la disposition à la schizophrénie est toujours d’origine héréditaire ».[28] C’est au nom de ce discours psychiatrique « tout-génétique » que se justifie la « prophylaxie » eugéniste. Si ce type de maladies étaient génétiques, le seul moyen de s’en débarrasser – dans la vision de l’époque – était de stériliser les porteurs des « mauvaises hérédités ».

Les professeurs de psychiatrie sont présents dans presque tous les Tribunaux d’Appel : le Pr. Johannes Lange à Breslau, détenteur de la chaire de 1930 à 1938 ; le Pr. Ernst Schultze, détenteur de la chaire de psychiatrie et neurologie à l’Université de Göttingen de 1912 à 1933; le Pr. Franz Sioli, détenteur de la chaire et directeur de la Clinique psychiatrique de l’Académie de médecine de Düsseldorf de 1923 à 1949; le Pr. Karl Kleist, détenteur de la Chaire de Francfort et directeur de la clinique universitaire de 1920 à 1950 ; le Pr. Ferdinand Aldabert Kehrer, détenteur et directeur de la clinique universitaire de Münster de 1925 à 1953 ; le célèbre Ernst Kretschmer (connu pour ses travaux sur les types constitutionnels en psychiatrie), détenteur de la chaire et directeur de la clinique universitaire de Marbourg ; le Pr. Georg Stertz, détenteur de la chaire de 1926 à 1937 et directeur de la clinique psychiatrique universitaire de Kiel ; le Pr. Arthur Hübner, détenteur de la chaire de Bonn de 1929 à son décès en 1934 ; le Pr. August Bostroem, détenteur de la chaire de Königsberg de 1932 à 1939 ; le Pr. Gottfried Ewald, détenteur de la chaire de Greifswald et directeur de la Clinique psychiatrique et neurologique universitaire. Aux psychiatres s’ajoutent encore les hygiénistes, tel Pr. Paul Manteufel, directeur de l’Institut d’Hygiène de l’Académie de médecine de Düsseldorf (de 1927 à 1939), le Pr. Reiner Müller, directeur de l’Institut d’Hygiène de l’Université de Cologne (de 1913 à 1951), le Pr. Ernst Gerhard Dressel, directeur de l’Institut d’hygiène de l’Université de Greifswald, et quelques autres spécialités médicales, comme le Pr. Wilhelm Claussen, détenteur de la chaire d’ophtalmologie et directeur de la clinique ophtalmologique de l’Université de Halle, ou le spécialiste de médecine interne et de génétique médicale Pr. Wilhelm Weitz (Stuttgart).[29] Il y a même quelques médecins anthropologues à l’instar d’Eugen Fischer (membre du Tribunal de Berlin), comme le Pr. Otto Aichel, directeur de l’Institut d’Anthropologie à Kiel, et le Dr. Lothar Loeffler, maître de conférence en anthropologie à la même université. Enfin, il y a des nominations très politiques, comme celle du Dr. Karl Astel, président de l’Office régional pour les Affaires raciales à Weimar, un ultra-nazi promu professeur à l’Université de Iéna par le nouveau régime. Néanmoins, les dates signalées montrent que la plupart de ces universitaires étaient en poste avant le nazisme (et le resteront après sa chute). Et le nombre de médecins universitaires impliqués n’a fait qu’augmenter après 1934.

Deux tiers des plus de 1600 membres permanents ou suppléants des « Tribunaux de Santé Héréditaire » sont donc des médecins et, comme on vient de le voir, pas toujours des moindres. On a pas entendu dire qu’un seul d’entre eux se soit vu « imposer » sa nomination ou ait été obligé de siéger dans un tel tribunal. Sur la base de leurs décisions, 400 000 Allemands et Allemandes ont ensuite été ligaturés ou mutilés (ablation des trompes ou de l’utérus) par opération chirurgicale pratiquée par des médecins gynécologues ou chirurgiens dans plus de 108 hôpitaux du pays. Il s’agit généralement des hôpitaux publics, mais aussi des cliniques universitaires dirigées par des professeurs des facultés.[30] Par exemple, à Tübingen, en 1934, les deux médecins habilités à opérer les stérilisations sont le Pr. August Mayer, détenteur de la chaire d’obstétrique et gynécologie et directeur de la Clinique gynécologique universitaire (de 1917 à 1950), et le Pr. Martin Kirschner, détenteur de la chaire de chirurgie et directeur de la clinique chirurgicale universitaire. Et les gynécologues et chirurgiens qui pratiquaient les stérilisation ne s’en cachaient pas, au contraire, puis qu’ils publiaient de nombreux articles dans les journaux médicaux et même des livres à ce sujet, tel le Pr. Heinrich Eymer, détenteur de la chaire de l’Université de Munich et directeur de la clinique universitaire d’obstétrique et gynécologie, qui développait de nouvelles méthodes de stérilisation au moyen des rayons X et publiait sur La stérilisation de la femme (1936).[31] On a jamais entendu parler de protestations de la part des médecins concernés contre le principe de la stérilisation eugénique. Et à nouveau, pour opérer 400 000 personnes dans une centaine d’hôpitaux – ce qui représente une moyenne de 4000 personnes par hôpital – plusieurs centaines de chirurgiens et gynécologues sont impliqués. Les seules fois où il a été fait appel à la force et où des policiers sont intervenus, ce n’était pas pour contraindre des médecins d’opérer mais pour amener dans les hôpitaux des personnes qui refusaient de se laisser stériliser.

Globalement, il n’y a eu ni résistance ni critique de la part des médecins allemands à l’égard de la loi de stérilisation, hormis pour trouver la loi insuffisante et réclamer son extension. Même des eugénistes sociaux-démocrates ou d’origine juive se montraient prêt à aller encore plus loin que les nazis avec la loi de stérilisation du 14 juillet 1933. Aux yeux de l’eugéniste de gauche Reiner Fetscher, professeur d’hygiène à l’Université de Dresde (qui aidera sous le IIIe Reich son collègue juif Viktor Klemperer, professeur de littérature française dans la même université et l’auteur du fameux LTI sur la langue du IIIe Reich), aussi bien que du Pr. Ernst Rüdin, spécialiste d’origine suisse internationalement renommé de génétique psychiatrique et directeur du plus gros centre de recherche psychiatrique en Allemagne depuis 1931, l’Institut Allemand de Recherche / Institut Kaiser Wilhelm de Psychiatrie près de Munich, « la loi de stérilisation est un début, pas une fin ».[32]

La loi de stérilisation promulguée par les nazis est acclamée par le corps médical. Le Pr. Bodo Spiethoff, détenteur de la chaire de Dermatologie-vénérologie de l’Université de Iéna depuis 1923, et président de la Société allemande de Lutte contre les Maladies sexuellement transmissibles, exprime l’opinion de nombre de ses collègues quand il proclame en 1933 : « On ne peut être assez reconnaissant, qu’après des années et des décennies de consultations et de délibérations, on soit enfin passé à l’action ».[33] Les rares critiques venaient essentiellement des rangs religieux, surtout catholiques, ou des stérilisés eux-mêmes. La stérilisation eugénique devient un thème à la mode dans les facultés de médecine allemandes. Entre 1933 et 1945 environ 200 thèses de doctorat en médecine sont consacrées à la théorie ou la pratique de la stérilisation eugénique.[34]

L’histoire d’un eugénisme imposé au corps médical est donc un mythe. En réalité, cette loi eugénique était réclamée par de nombreux représentants du monde médical, de tous bords politiques, depuis le début de la République de Weimar. Au début des années 1920, le psychiatre Ernst Rüdin, directeur du département de génétique et statistiques épidémiologiques du Centre Allemand de Recherche Psychiatrique, le plus gros centre de recherche psychiatrique en Europe, se plaint de l’opposition dont souffre la stérilisation forcée, particulièrement en ces temps d’une « démocratie mal comprise et mal conseillée » – un stérilisation qui serait tellement utile pour traiter la cohorte des « inférieurs mentaux sans discernement, pernicieux, et ne tenant compte de rien ».[35] À la fin de la République, en 1932, la Ligue de l’Association des médecins allemands (Deutsches Ärztevereinsbund) et le principal syndicat professionnel des médecins allemands (Hartmannbund) exigeaient du gouvernement de Weimar qu’il promulgue une loi de stérilisation eugénique par décret d’urgence (Notverordnung) pour contourner l’obstruction des catholiques au Parlement.[36] La politique eugéniste du Troisième Reich n’a donc pas été imposée par les politiciens nazis contre la volonté des médecins allemands. Elle était réclamée par le corps médical depuis des années et lorsque les nazis passèrent la loi, elle fut saluée comme une victoire par les médecins allemands.[37]

On voit à quel point la version propagée dans le journal officiel de la profession médicale Deutsches Ärzteblatt jusque dans les années 1980 était fausse. Il n’y a pas tellement lieu de s’étonner de la volonté d’amnésie collective de la part des médecins allemands dans les quatre décennies qui ont suivi la défaite de 1945. Massivement impliqués dans la politique nazie, les médecins en place et leur élèves directs par fidélité, avaient toutes les raisons de vouloir garder le silence.[38] En revanche, on peut trouver curieux de retrouver le même type de discours, dédouanant le corps médical, sous la plume d’historiens occidentaux désireux de dénoncer les méfaits du nazisme. Certes, ils ont des motifs symétriques de ceux des acteurs précédents : ils ne veulent pas défendre ou justifier mais dénoncer. Cependant, au nom d’une croyance positiviste en la pureté de la science et d’une barrière aussi infranchissable qu’imaginaire établie entre le monde de la « science » et celui de l’« idéologie », les conceptions eugénistes ou racistes sont rétroactivement expulsées de la science établie et déclarées l’apanage d’« idéologues pseudo-scientifiques » extérieurs à la médecine académique. Et le résultat revient au même : les « vrais scientifiques » et les « bons médecins » auraient été naturellement immunisés contre de telles idées. Par exemple, dans son livre par ailleurs très important Doctors under Hitler (1989)[39], l’historien germano-canadien Michael H. Kater (récemment mis en cause par Ernst Klee [40]) présente l’eugénisme comme une nouvelle « pseudo-science », spécifiquement nazie, et imposée de force par les politiciens nazis dans les facultés de médecine contre la volonté des médecins universitaires. L’introduction de la Rassenhygiene (hygiène raciale) dans les facultés de médecine allemandes daterait ainsi, selon Kater, de l’arrivée au pouvoir des nazis.[41] Or, comme nous pouvons le voir dans le tableau 1 sur la période 1930-1933 (voir annexe 1), l’eugénisme, l’hygiène raciale et la raciologie (ou anthropologie raciale) étaient déjà enseignés, de manière continue ou occasionnelle, dans toutes les universités allemandes (soit 23 universités) à la fin de la République de Weimar. Que nous dit d’autre ce tableau ?

D’abord que ce type d’enseignement se fait surtout dans les facultés de médecine. Sur les 57 (VÉRIF XXX) professeurs enseignant l’hygiène raciale, l’eugénisme et la raciologie, entre 1930 et 1933: 77% sont professeurs de médecine; 35% sont des hygiénistes ou hygiénistes sociaux; 32% sont des anthropologues ou anatomistes; 7% sont psychiatres; 12% appartiennent à d’autres spécialités médicales (médecine interne, gynécologie, etc.); 3 sont biologistes, généticiens ou mathématiciens; et 4 relèvent de disciplines des « sciences humaines » (histoire, préhistoire, sociologie, théologie).

Le phénomène a débuté en Allemagne peu avant la 1ère Guerre mondiale (ce qui correspond à la situation dans d’autres pays[42]). Au début, il s’agit d’une poignée de pionniers, surtout des jeunes universitaires avec le rang de maître de conférence (Privatdozent), tels l’anthropologue Eugen Fischer, le psychiatre Ewald Stier, ou les hygiénistes Alfred Grotjahn, Werner Rosenthal et Ignaz Kaup.[43] Après la 1ère Guerre, dans les années 1920, le nombre d’universitaires enseignant l’eugénisme, l’hygiène raciale, la raciologie ou des disciplines apparentées, croît fortement.

En ce qui concerne l’enseignement de l’eugénisme et de l’hygiène raciale, il s’agit souvent d’hygiénistes : Alfred Grotjahn et Franz Schütz (d’abord à Kiel) à Berlin ; Traugott Wohlfeil à Bonn ; Karl Coerper et Reiner Müller à Cologne ; Rainer Fetscher à Dresde ; Maximilian Knorr à Erlangen, Ludwig Ascher à Francfort /M. ; Alfred Nissle à Fribourg ; Otto Huntemüller et Philaletes Kuhn à Giessen ; Ernst G. Dresel à Heidelberg puis Greifswald ; Wilhelm von Drigalski à Halle, Theodor Messerscgmidtt à Hannovre, H. Dold à Kiel ; Werner Bachmann à Düsseldorf puis à Königsberg ; Wilhelm Pfannenstiel à Marbourg ; Ignaz Kaup et Fritz Lenz à Munich ; Georg Lutz à Stuttgart ; Hans Reiter, K. W. Jötten ; Th. von Wasielewski  et Wolfgang Winkler à Rostock ; W. Salek à Tübingen ; Karl Lehmann & Ludwig Schmidt / Kehl à Würzbourg.[44]

En outre, dans les années 1920, trois académies d’hygiène sociales sont ouvertes, par décret de l’administration de la santé de Prusse, à Breslau, Berlin-Charlottenburg et Düsseldorf, pour offrir une formation de quatre mois aux médecins fonctionnaires des districts et des communes. La formation comprend des cours d’hygiène (bactériologie, pathologies sociales, prévention, etc.), dont l’hygiène raciale. De même, en Bavière, le Ministère de la Justice régional restructure la formation des médecins de prison en 1925 pour tenir compte du point de vue de eugéniste et héréditariste en criminologie. Les données des enquêtes menées dans cette nouvelle perspective sont collectées et analysées statistiquement au « Bureau de collecte Criminobiologique de Bavière », situé au Centre de détention de Straubing près de Munich. Les hygiénistes et eugénistes Max von Gruber et Fritz Lenz de l’Université de Munich assurent une partie de la formation.[45]

Comment expliquer un tel ralliement des hygiénistes à l’eugénisme ou hygiène raciale ? L’hygiène publique dès l’aube du 19e siècle, possédait déjà une dimension collectiviste, autoritaire et préventive. L’administration de la santé publique impliquait de prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler.[46] Le territoire est quadrillé, l’habitat urbain réorganisé. La lutte contre les épidémies et les fléaux publics autorisait d’imposer non seulement le tout-à-l’égout, un habitat plus aéré, la quarantaine, des cordons sanitaires, le contrôle des prostituées et la pasteurisation du lait, mais aussi de nouveaux comportements quotidiens aux citoyens, dans l’armée, sur le lieu de travail, dans les lieux publics. La propreté, au nom de la lutte contre les microbes, atteignait le rang de vertu majeure. Propreté, antisepsie, stérilisation, pasteurisation : tout était mis en œuvre pour éradiquer les invisibles germes. Il fallait se laver les mains, évacuer les déjections, chasser les mouches, pasteuriser les aliments. La santé devenait une affaire d’État. Le contrôle de l’eau, l’assainissement des villes, la lutte contre la vermine, le contrôle du bétail, les campagnes de vaccinations obligatoires, les conditions de travail, l’hygiène industrielle, les conditions de l’accouchement des femmes, chaque facette de la vie humaine était remodelée par les normes médicales. Rien ne devait échapper à l’hygiène, pas même la sphère privée et intime avec la lutte contre l’alcoolisme, l’hygiène corporelle et la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. De l’établissement de normes d’hygiène alimentaire à l’interdiction de cracher par terre (à cause de la tuberculose) et l’incitation à faire du sport, l’hygiène s’emparait du corps et des gestes les plus anodins des citoyens.[47] Le siècle du Progrès a hygiénisé comme il a scolarisé. Dans un vaste mouvement de « rationalisation »  des comportements humains (au sens de Max Weber), il fallait lutter contre les préjugés, la pauvreté, l’ignorance et les comportements irresponsables causes des maladie, en éduquant le peuple.

Après s’être attaquée aux conditions urbaines, industrielles, alimentaires et sociales de la maladie, avec notamment l’« hygiène sociale » (soziale Hygiene dont Alfred Grotjahn à Berlin était un des principaux représentants), l’hygiène, se voulant prophylactique, ne tarda pas à se tourner vers les autres causes supposées des pathologies, en particulier l’« hérédité ». Pour une époque qui croyait à la « dégénérescence » et attribuait à l’« hérédité » bien des maladies dont elle ne connaissait pas les causes, il s’agissait en outre de « régénérer la race » en pratiquant une « hygiène de la race » (Rassenhygiene) ou « hygiène de la santé héréditaire » (Erbgesundheitslehre). L’Homo hygienicus du début du 20e siècle n’était plus seulement responsable de sa bonne santé et de celle de ses concitoyens, mais aussi de celle de sa descendance. Pour des médecins comme Schallmayer et Ploetz, fondateurs du mouvement eugéniste en Allemagne dans les années 1890-1910, l’hygiène raciale venait compléter l’hygiène individuelle ou sociale. Tandis que l’hygiène sociale ne se préoccupait que d’environnement et de la santé du corps mortel (le phénotype), l’hygiène raciale ou eugénisme voulait traiter des « constitutions héréditaires » (le génotype), c’est-à-dire de la santé de la population au niveau biologique ou héréditaire, donc des générations futures.[48] Dans l’esprit d’hygiénistes de gauche comme Grotjahn, l’eugénisme revenait à étendre le processus de rationalisation de la modernité à la sphère la plus intime de la vie sociale : la sexualité et sa dissociation de la reproduction, laquelle devenait une question d’intérêt général et une affaire d’État.[49]

Les psychiatres, comme on l’a vu, constituent sans doute la deuxième spécialité médicale la plus impliquée dans l’enseignement et la propagation de l’eugénisme. Le plus influent d’entre tous, Ernst Rüdin, le pionnier de la psychiatrie génétique et un militant très actif de la cause eugénique dès les origines de la Société d’Hygiène Raciale en Allemagne, l’enseigne à peine sous Weimar – uniquement en 1923-1925 où il fait un cours sur « Faits et problèmes de l’hérédité et de la dégénérescence », avant de partir occuper la chaire de psychiatrie de Bâle et la direction de l’asile de Friedmatt en Suisse de 1925 à 1928 (il revient ensuite à Munich). Il faut dire que Rüdin, davantage un scientifique qu’un universitaire, était très pris en tant que directeur du Département de Généalogie-démographie (on dirait aujourd’hui : Génétique et épidémiologie) du Centre Allemand de Recherche Psychiatrique (Deutsche Forschungsanstalt für Psychiatrie = DFA) depuis 1917, le plus gros centre de recherche psychiatrique du monde, fondé par Kraepelin, le pape de la classification psychiatrique, et intégré en Institut Kaiser-Wilhelm en 1924. Rüdin prendra la tête de l’ensemble du DFA / KWI de Psychiatrie en 1931.[50] En revanche, Ewald Stier commence à l’enseigner dès 1912, à la Faculté de médecine de Berlin ; suivi dans les années 1920, par Gabriel Anton, professeur titulaire de la chaire de psychiatrie (1905-1926) et directeur de la clinique de psychiatrie et neurologie de Halle (où il succède, ce qui est assez symptomatique, à Carl Wernicke, un des grands représentants de la « psychiatrie du microscope » de la fin du XIXe siècle); August Döllken à Leipzig qui commence à remanier son cours en fonction de la perspective eugéniste ; Robert Gaupp, titulaire de la chaire de psychiatrie à Tübingen (1906-1936) ; ou Arthur Hübner, détenteur de la chaire de psychiatrie à Bonn (1929-1934), qui fait l’un de ses cours sur « La prévention de la reproduction des inférieurs ». À Hamburg, deux maîtres de conférence en psychiatrie se montrent particulièrement actifs : Friedrich Meggendorfer, qui propose divers séminaires sur la psychiatrie, la génétique médicale (medizinische Vererbungslehre) et l’hygiène raciale dès son habilitation en 1921, soutenu après 1926 par son collègue Ernst Ritterhaus. À côté de l’hygiène, de la psychiatrie et de l’anatomie, le reste s’éparpille entre diverses spécialités médicales comme la gynécologie, la médecine interne, etc. Il faut aussi y ajouter des biologistes non médecins, travaillant sur des questions de génétique, des statisticiens et démographes.

Pendant environ un demi-siècle, l’eugénisme a été considéré comme un projet « scientifique » de gestion biologique et médicale du « capital humain » des pays les plus avancés. Face à la « menace » d’une « dégénérescence » de la qualité génétique des populations des pays industrialisés, en raison de la survie et reproduction des individus condamnés à disparaître dans les sociétés primitives, il convenait de réagir « rationnellement » par une politique préventive de planification et de rationalisation de la reproduction humaine. La menace de la « dégénérescence » était prise aussi sérieusement à l’époque que celle du trou d’ozone ou du réchauffement de la planète aujourd’hui. L’eugénisme était fondé sur une peur collective construite de toutes pièces par la science et la médecine de l’époque. Personne ne voyait la dégénérescence. C’était une menace invisible, proclamée par les scientifiques. Il n’y avait que des statistiques sur l’augmentation des internés dans les hôpitaux psychiatriques ou des détenus dans les prisons. Ces statistiques pouvaient être interprétées de multiples façons, mais dans le cadre de la psychiatrie héréditariste de l’époque, combinée au paradigme darwinien de la « sélection naturelle », il ne pouvait s’agir que de la propagation de tares héréditaires au sein de la population du fait de l’absence de sélection naturelle dans les sociétés les plus civilisées.

Il est nécessaire de rappeler que, au moins jusqu’en 1945, l’eugénisme n’était pas perçu comme une idéologie raciste et spécifiquement nazie ou « de droite ». Des médecins, juifs et socialistes, sexologues, réformateurs de la sexualité, défenseurs des droits des femmes et des homosexuels, comme Magnus Hirschfeld ou Max Marcuse, ont milité pour la cause eugéniste sous la République de Weimar.[51] Plusieurs médecins juifs avaient rejoint peu après sa fondation en 1905 la Société Allemande d’Hygiène Raciale, tels à Berlin Albert Abu, professeur de médecine interne, Alfred Blashko, professeur de dermatologie et de vénérologie, ou l’ophtalmologue et collecteur d’archives juives Arthur Crzellitzer.[52] Une revue eugéniste comme Archiv für Rassen- und Gesellschaftsbiologie (ARGB) accueillait en 1930 des contributions d’eugénistes d’origine juive comme le sexologue Max Marcuse et le statisticien Felix Bernstein, de socialistes comme Karl Scheumann ou Reiner Fetscher, et de scientifiques étrangers comme le libéral de gauche suédois et anti-antisémite Gunnar Dahberg ou le soviétique S. Dawidenkow. L’eugénisme se voulait à leurs yeux une hygiène de la reproduction (Fortpflanzunghygiene), une prophylaxie de l’hérédité (Erbpflege). Aussi cet enseignement de l’eugénisme dans la quasi-totalité des universités allemandes avant 1933 n’était pas seulement le fait de médecins et anthropologues völkisch et d’extrême-droite, mais aussi d’universitaires de gauche, tel Grotjahn et Fetscher, et juifs ou d’origine juive (Japha, Poll, Ascher, Rosenthal).

Le tableau 4 sur l’enseignement de l’hygiène raciale, de l’eugénisme et de la raciologie en Suisse, montre qu’il ne s’agit pas non plus d’un phénomène spécifiquement allemand. La revue eugéniste et anthroposociologique suisse Archiv der Julius-Klaus-Stiftung für Vererbungsforschung, Sozialanthropologie und Rassenhygiene (« Archives de la Fondation Julius-Klaus pour la Recherche sur l’hérédité, l’Anthroposociologie et l’Hygiène raciale », 1925-1969) ne se distingue guère de la revue eugéniste allemande Archiv für Rassen- und Gesellschaftsbiologie. Ernst Hanhart, un spécialiste de la génétique médicale qui enseigne la génétique humaine et l’hygiène raciale à la Faculté de médecine de Zurich, ou Otto Schlaginhaufen, un anthropologue qui enseigne l’ « anthroposociologie » et la raciologie, également à Zurich, ne détonneraient absolument pas si on leur avait confié une chaire en pleine Allemagne nazie. De nombreux liens existent d’ailleurs, avant 1933 et encore après 1933, entres les communautés scientifiques allemande, autrichienne, suisse, hollandaise et scandinave. En 1940, Hanhard co-édite le gigantesque Handbuch der Erbbiologie des Menzchen (« Manuel de Génétique de l’Homme ») du généticien et hygiéniste racial nazi Günter Just. Car Brugger, qui enseignait l’eugénisme psychiatrique et l’hygiène raciale à Bâle, s’était formé à la psychiatrie génétique auprès de Rüdin et avait mené une très grosse enquête pendant plusieurs années à l’IKW de Recherche Psychiatrique à Munich.[53]

Si l’on distingue la « raciologie » (Rassenkunde) (correspondant plus ou moins à ce que l’on appelle « anthropologie physique » ou « anthropologie raciale » en France) de l’eugénisme (Eugenik) et de l’hygiène raciale (Rassenhygiene), alors 70% des 20 universitaires qui enseignent la raciologie ou la biologie raciale (Rassenbiologie) avant 1933 sont anthropologues professionnels ou professeurs d’anatomie en faculté de médecine. Les 30% restant se divisent à parts égales entre professeurs de médecine d’autres spécialités médicales (physiologie et sérologie : 15%) et représentants des sciences humaines (préhistoire, histoire, philologie : 15%). Anthropologues professionnels et professeurs de médecine représentent donc 85% des enseignants de la « raciologie » avant 1933. Ce ne sont donc pas des « amateurs » qui propagent cette discipline dans les universités. Le premier a utiliser le nouveau terme de Rassenkunde, avant la 1ère Guerre mondiale, dans l’intitulé de son cours, semble être l’anthropologue Theodor Mollison, à l’époque où il est à Heidelberg (1913-1918). Il sera suivi par Otto Aichel, médecin anthropologue depuis 1914 à l’Université de Kiel, promu directeur de l’Institut d’anthropologie nouvellement crée en 1923, qui parle de « génétique humaine et de raciologie » à partir de de 1925, puis des « races de la terre » et d’ « eugénisme » ; Eugen Fischer, titulaire depuis 1927 de la chaire d’anthropologie de l’Université de Berlin et directeur de l’IKW d’Anthropologie, de Génétique humaine et d’Eugénisme ; Egon von Eickstedt, directeur de l’Institut d’Anthropologie à Breslau, depuis 1929 ; A. Pratje, depuis 1927, et A. Spuler, depuis 1931, à Erlangen, sont tous deux des anatomistes ; Wegner à Francfort depuis 1927 ; Hauschild qui enseigne l’anthropologie physique, la raciologie et l’ethnologie depuis 1913, puis Karl Saller à Göttingen depuis 1929 ; Walter Scheidt à Hambourg qui, après avoir enseigné la « généalogie biologique » en 1925, passe en 1927 à la « raciologie », la « biologie raciale » (Rassenbiologie) et la « biologie de la culture » ou « ethno-biologie » (Kulturbiologie) ; Heinrich Münter, directeur de l’Institut d’anthropologie à Heidelberg depuis 1922, donne des cours sur « Race et destin des peuples », « théorie de la race » (Rassenlehre), « anthroposociologie », « les races et peuples de la terre », « biologie raciale », « les origines de l’homme », « étude de l’hérédité humaine et eugénisme », etc. ; l’anatomiste Brandt à Cologne enseigne l’« Anthroposociologie et la raciologie » à partir de 1931 ; l’anatomiste Eugen Kurz, revenu de Shangaï où il dirigeait l’Institut d’Anatomie de l’École de Médecine Allemande, enseigne l’anthropologie, la raciologie et l’ethnologie à partir de 1921 à Münster ; l’anthropologue Wilhelm Gieseler, nommé à Tübingen en 1931, y enseigne dès la première année la raciologie et les « origines de l’homme ».

Les anthropologues peuvent se contenter soit d’enseigner une hygiène raciale essentiellement médicale et sociobiologique assez similaire à celle de leurs autres collègues médecins, soit au contraire l’eugénisme dans sa version raciale (l’anthroposociologie – Sozialanthropologie – élaborée par Vacher de Lapouge en France et Ammon en Allemagne).[54] C’est par exemple le cas d’Eugen Fischer quand il est encore à Fribourg (1909-1927) ou Theodor Mollison, à l’époque où il enseigne à Breslau. Le représentant le plus connu en est Hans Friedrich Karl Günther (1891-1968), le principal théoricien de la supériorité de la « race nordique » dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Günther n’était ni un anthropologue ni un anatomiste de formation, mais un philologue. Il a d’abord vécu de sa plume, en publiant des « études raciologiques de l’Allemagne », de « l’Europe » ou du « peuple juif » et a résidé plusieurs années en Suède où il était accueilli à l’Institut d’État de Biologie Raciale d’Uppsala par le psychiatre généticien et eugéniste nordico-raciste Lundborg. La crise économique de 1929 oblige Günther à revenir en Allemagne. Après des élections favorables au Parti nazi en Thuringe, Wilhelm Frick, un nazi qui a remporté le portefeuille de Ministre de l’Éducation local, arrive à lui décrocher en 1931, contre la volonté du sénat de l’université et de nombreux professeurs – car Günther n’a même pas d’habilitation universitaire – un poste de professeur titulaire d’« anthroposociologie » à l’Université d’Iéna.[55] Dans le cadre de son cours, Günther parle aussi bien du « Mariage et de la famille du point de vue de la théorie de la santé héréditaire (eugénique) », des « Processus anthroposociologiques [c’est-à-dire de sélection raciale] dans l’histoire grecque et romaine », de « L’histoire raciale du peuple juif », de «L’hérédité et la sélection dans leur rapport à l’éducation et à l’école » , que de la législation nord-américaine en matière de contrôle eugénique et racial de l’immigration. Il fait aussi pratiquer à ses étudiants des exercices de craniométrie (mesure des crânes).

Dans les années 1920, les termes « raciologie » ou « biologie raciale » sont des termes à la mode qui supplantent peu à peu celui d’« anthropologie ». Même le physiologiste et anthropologue juif Hans Friedenthal, qui intitulait son cours « science de l’humanité » en 1918, le rebaptise « Anthropologie et raciologie » à partir de 1926. De même, le sérologue Fritz Schiff, lui aussi juif, s’intéresse dans ses cours aux groupes sanguins, y compris dans leur portée pour la « biologie raciale ». Le physiologiste Baseler préfère lui le terme de « physiologie raciale ». Il enseigne ainsi la « Physiologie raciale et sociale » depuis 1920 à l’Université de Tübingen, fait faire des « exercices en biologie raciale » et expose les « Races de l’Europe ». En 1927, on lui offre un poste à Canton en Chine, où il reste jusqu’en 1933, date à laquelle il revient pour devenir directeur d’un Institut de Physiologie du Travail à Breslau. Parfois, ce peuvent être des préhistoriens ou des historiens qui se mêlent « d’histoire raciale », de « recherche raciale » (Rassenforschung) ou de « raciologie » (Rassenkunde). La « raciologie » est donc surtout l’apanage des médecins anatomistes, et anthropologues mesureurs de crânes ou généticiens, mais aussi de physiologistes et sérologistes spécialistes des groupes sanguins.

Et entre eugénisme médical et raciologie, il y a ce nouveau champ « Menschliche Erblichkeitslehre » – « l’étude de l’hérédité humaine » ou « génétique humaine » – de plus en plus présent à partir des années 1920 et systématiquement associé à l’eugénisme, l’hygiène raciale ou la « sélection humaine » (« menschliche Auslese »).

Telle était la situation à la veille de l’arrivée au pouvoir des nazis. Ceux-ci vont décupler l’importance de ces disciplines par rapport à la période de Weimar.

 

La vogue de l’hygiène raciale après 1933

Que se passe-t-il après 1933 ? D’abord on constate une véritable vague déferlante des cours d’hygiène raciale, d’eugénisme et de raciologie qui s’abat sur les universités allemandes dès la première année du nouveau régime, en 1933. L’offre de cours en la matière est presque multipliée par dix par rapport à la République de Weimar (voir tableau 2). Les cours qui se limitaient avant aux principales universités s’étendent désormais à la moindre école supérieure de technique (écoles d’ingénieur). Au moins au début, ces cours ne sont absolument pas imposés par les autorités. Ils sont spontanément élaborés par les universitaires dans un climat de fièvre générale et d’enthousiasme en faveur du nazisme et de sa politique eugéniste et raciale. Ce n’est qu’en 1936, que l’hygiène raciale devient une matière obligatoire pour les étudiants en médecine. Avec les conquêtes et annexions de l’Allemagne nazie, le nombre d’universités augmente et avec elles, le nombre d’enseignements.

D’abord, ce qui est frappant, c’est le côté quantitativement massif de cet enseignement. Il ne s’agit pas de deux ou trois universitaires isolés. Mais chaque université est concernée et le nombre d’acteurs impliqués dans cet enseignement est impressionnant. Il ne s’agit pas d’une dizaine de marginaux, mais de centaines d’universitaires (voir tableau 2). Ensuite, c’est la diversité des acteurs impliqués. Certes les enseignants – en hygiène, neuro-psychiatrie, anatomie, physiologie, gynécologie, médecine légale – de la faculté de médecins dominent, mais ce sont aussi des anthropologues, des biologistes, des mathématiciens, des juristes, des psychologues, des historiens, des sociologues, des préhistoriens, des linguistes, des orientalistes et même quelques théologiens. Les champs couverts vont de l’analyse statistique des phénomènes héréditaires (Erbstatistik) par des mathématiciens professionnels, à « l’analyse raciologique de la poésie » par des professeurs de littérature. Enfin, ce qui saisit aussi c’est la pléthore de nouveaux termes pour désigner non seulement l’eugénisme et la raciologie (voir plus loin), mais aussi tous ces nouveaux champs de recherche qui tournent autour, telle la « Kulturbiologie » (« biologie de la culture » : Scheidt à Hambourg), la « Kriminalbiologie » (« biologie du crime », « crimino-biologie »), la « Rassenseelenkunde » (« étude de la psyché raciale »), ou la « Rassenkulturkunde » (« étude de la culture des races » : Mandel à Kiel).

 

La création de chaires et d’instituts d’hygiène raciale

Avant 1933, il y avait certes de nombreux cours d’eugénisme, d’hygiène raciale ou de raciologie, mais la discipline n’était pas institutionnalisée dans les universités. Il n’y avait pas de chaire ou d’institut universitaire d’eugénisme ou d’hygiène raciale en Allemagne ou en Autriche. Hormis une exception : la chaire d’hygiène raciale à la Faculté de médecine de Munich, confiée à Fritz Lenz, avec le titre de professeur extraordinaire, dès 1923. À partir de 1933, environ 25 nouveaux instituts sont créés dans les universités.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette multiplication d’instituts bénéficie relativement peu à la raciologie. En anthropologie physique ou raciologie, le nombre de chaires ou d’instituts ne connaît pas une très forte croissance pendant la période nazie. Le quasi-doublement liée à la création de cinq nouveaux instituts est en fait très atténué par la suppression de trois autres instituts (Cologne, Francfort, Heidelberg) faisant suite à l’émigration de leur directeurs (Brandt, Weidenreich, Münter). On passe grosso modo de 9 instituts ou chaires avant 1933, à 11 sous le IIIe Reich, soit une croissance institutionnelle modérée, sensiblement équivalente à celle de la période de Weimar.[56]

C’est donc plus précisément en hygiène raciale proprement dite que l’on observe un véritable « boom » institutionnel. Avant 1933, il n’existait qu’une seule chaire d’hygiène raciale pour toute l’Allemagne, celle de Lenz à Munich. Sous le IIIe Reich, sont créés plus d’une quinzaine d’instituts supplémentaires dans des facultés de médecine et sans tenir compte des instituts de biologie raciale véritablement mixtes (par leurs champs de recherche portant aussi bien sur les pathologies génétiques que sur la raciologie) (voir tableau 3). Dans la mise en place des nouveaux instituts, tous les cas de figure étaient possible. Il pouvait s’agir d’une institutionnalisation liée au développement « naturel » d’un enseignement autour d’un universitaire particulièrement mobilisé par ces questions, ou au contraire d’une création de toute pièce imposée par un pouvoir politique externe à l’université. Le nouvel institut pouvait aussi bien être le fruit d’une initiative individuelle, qu’une adaptation des universités au nouveau contexte politique puis, au nouveau cursus médical exigeant après 1936 une formation en hygiène raciale. Le responsable de l’institut pouvait être propulsé par son activisme politique, par sa réputation scientifique, ou les deux. Dans le cas de scientifiques reconnus, ce pouvait être un hygiéniste, un anthropologue, un psychiatre, un médecin d’une autre spécialité, ou même un pur « hygiéniste racial » habilité dans cette nouvelle discipline à part entière.

Quelques exemples d’universités permettent de voir comment les choses ont pu se dérouler concrètement.

 

Berlin : le raz-de-marée

À Berlin, on assiste à un véritable raz-de-marée. Plus d’une soixantaine d’enseignants proposent des cours dans ces domaines liés à la « race » ou l’eugénisme pendant les dix première années du régime (contre une douzaine avant 1933). Certes les enseignants juifs et politiquement déviants sont révoqués à partir de 1933. Cependant, les médecins juifs, adeptes de l’eugénisme, de la biologie raciale ou de la raciologie, comme Max Berliner, Fritz Schiff ou Hans Friedenthal ne sont pas révoqués tout de suite. Berliner et Schiff, qui collaboraient tous deux avec l’Institut Kaiser Wilhelm d’Anthropologie, de Génétique humaine et d’Eugénisme dirigé par Eugen Fischer, figurent dans le catalogue des cours jusqu’en 1935.

En 1933-1934, une vingtaine de professeurs, presque, y traitent d’eugénisme, d’hygiène raciale, de raciologie ou de « race » d’une manière ou d’une autre, surtout dans la Faculté de médecine et chez les anthropologues alors domiciliés dans la Faculté de philosophie (ensuite, quand elle sera créée, dans la Faculté de sciences naturelles), mais aussi dans des lieux académiques où l’y attend beaucoup moins comme chez les orientalistes, voire les théologiens. Ensuite, les choses tendent à se structurer autours de quelques pôles institutionnels et personnalités académiques. Berlin dispose de plusieurs instituts, chaires, centres de recherche et de formation :

  • L’Institut Kaiser Wilhelm (IKW) d’Anthropologie, de Génétique Humaine et d’Eugénisme, un institut de pure recherche, le plus gros centre de recherche en génétique humaine d’Allemagne, mais non universitaire, dirigé par Eugen Fischer.[57] Entre 1933 et 1935, il comptait trois départements : Anthropolologie (directeur : E. Fischer), Génétique humaine (menschliche Erblehre, directeur : von Verschuer), Eugénisme (directeur : F. Lenz). En 1935, Verschuer part à Francfort. Son département est divisé entre ceux de Fischer et de Lenz. Un nouveau département de « Psychologie génétique » (Erbpsychologie) est créé la même année et confié au psychologue Kurt Gottschaldt, qui travaille surtout avec la méthode des jumeaux.[58] S’y ajoutent, en 1939, un « Centre annexe de Recherche sur l’hérédité de la Tuberculose » dirigé par Karl Diehl, et en 1941, un « Département de Pathologie génétique (Erbpathologie) comparative et expérimentale », dirigé par Hans Nachtsheim (voir plus loin). La même année, en 1941, le Département d’Anthropologie est confié à Wolfgang Abel, collaborateur de l’Institut depuis 1931, et renommé « Département de Raciologie » (Rassenkunde). Quant au « Département d’Eugénisme », il est discrètement rebaptisé « Département d’Hygiène raciale » par Lenz, mais tend à se détacher de l’IKW et à se rattacher de plus en plus à l’Université. En 1942, Verschuer succède à Fischer, parti à la retraite, à la tête de l’ensemble de l’institut. Un sixième « Département d’Embryologie » devait être organisé en 1943 et confié au biologiste hollandais et membre de la SS Wouter Ströer, mais l’évolution de la guerre empêcha la réalisation de ce projet. En revanche, un laboratoire de recherche annexe non officiel fut installé à partir de 1943 à Auschwitz-Birkenau, où le Dr. Mengele, un assistant de Verschuer, collectionnait les jumeaux, les nains et les personnes atteintes de malformations et anomalies héréditaires par centaines, menait des expériences pour son compte et ceux de ses collègues, et envoyait à l’IKW de Berlin, à l’Institut de Biologie Raciale d’Abel, et à l’Académie SS de médecine à Graz, des « matériaux humains » en quantité.[59] Près de 600 publications, dont les deux tiers sont des publications scientifiques, émanent de cet institut de recherche pendant les douze années du régime nazi.

En accord avec les nouvelles autorités, en particulier le Ministère de l’Intérieur de Prusse et du Reich, l’IKW assuma également un rôle de formation pour les médecins fonctionnaires et les médecins SS. Entre 1933 et 1935, environ 1100 médecins, par groupes de 50 à 180, vinrent suivre des séminaires de formation d’une semaine en « Génétique et hygiène raciale ». Presque tous les médecins fonctionnaires, responsables des Offices de Santé locaux où étaient dépistés les personnes à stériliser, interdites de mariage, à avorter de force, ou sanctionnées pour entretenir des rapports sexuels illégaux entre « races », furent ainsi formés à l’IKW d’Anthropologie avant que la loi de stérilisation n’entre en vigueur le 1er janvier 1934. Dans les années suivantes, les formations continues pour les médecins fonctionnaires furent poursuivies. En partenariat avec l’Académie d’État de Médecine, l’IKW organisa aussi à partir de 1933 un cours de formation d’une demi-semaine pour les juges, les professeurs de biologie du secondaire et les pasteurs. Tous les juristes impliqués dans les « Tribunaux de Santé Héréditaire » avaient l’obligation d’y assister, et les juges ainsi formés étaient ensuite priés de disséminer ce savoir auprès des autres juristes. Les cours portaient sur : « L’hygiène raciale dans l’État völkisch », « La recherche génétique et ses applications à l’homme », « Les causes de la dégénérescence », « Les groupes sanguins », « les certificats de paternité et certificats raciaux », « Les pronostics héréditaires pratiques pour la stérilisation », « Les maladies mentales héréditaires », « Hygiène raciale et politique démographique » ou « Techniques de stérilisation ».

Les scientifiques de l’IKW d’Anthropologie donnaient aussi de nombreux cours ou conférences dans le cadre de formations organisées par le Comité du Reich pour la Formation Continue des Médecins, l’Institut Central d’Education et de Formation, et l’Académie d’État du Service de la Santé Publique. Plusieurs scientifiques de l’Institut ainsi que des enseignants de l’Université de Berlin donnaient des cours à l’« École Supérieure Allemande de Politique » organisée à Berlin par le Ministre de la Propagande Joseph Goebbels. Enfin, parmi toutes les autres activités de formation auxquelles participait l’IKW d’Anthropologie, une mérite d’être signalée. Depuis fin 1934, en accord avec le Ministère de l’Intérieur du Reich (qui payait la formation), le RuSHA-SS (l’office de la SS chargé des questions raciales, voir plus loin) et l’Office de la Politique Raciale du NSDAP (le Parti nazi), des médecins SS venaient se former par groupe d’une vingtaine pendant 9 mois en « Génétique, raciologie et hygiène raciale ». Certains de ces médecins SS devinrent à leur tour chercheurs à l’IKW d’Anthropologie, mais la plupart allèrent ensuite occuper des postes de responsabilité dans le secteur de l’administration de la santé. Quelques uns jouèrent un rôle important, tel le médecin-chef spécialiste de médecine interne à l’Hôpital Rudolf Virchow de Berlin Helmut Poppendick qui, après être passé par le département de la santé du Ministère de l’Intérieur, l’Office de la SS pour la Politique démographique et l’Entretien de la santé héréditaire et le RuSHA-SS, fut promu en 1943 chef de l’équipe personnelle du Dr. Ernst Grawitz, le Führer de tous les médecins SS.[60]

À côté de l’IKW d’Anthropologie, deux autres Instituts Kaiser Wilhelm situés à Berlin ou dans ses environs immédiats mènent des recherches en génétique : l’IKW de Biologie, dirigé par les généticiens Wettstein et Kühn, et l’IKW de Recherche sur le Cerveau, où deux départements conduisent des recherches génétiques, dont celui de génétique expérimentale du généticien russe Timoféeff-Ressovsky (qui collabore à la revue Der Erbarzt de Verschuer) et l’autre sur la génétique des troubles neurologiques (Patzig). La plupart de ces généticiens collaborent à la politique eugéniste du régime nazi. Fritz von Wettstein, alors qu’il était encore professeur à Munich, anime un séminaire de formation sur l’hygiène raciale, organisé en janvier 1934 à l’IKW de Recherche Psychiatrique à Munich, par l’Association allemande pour l’Hygiène mentale et l’Hygiène raciale, avec le soutien du Ministère de l’Intérieur. Le séminaire, où se sont rendus 120 psychiatres, surtout des directeurs et médecins-chefs d’asiles psychiatriques, doit les préparer à la mise en vigueur de la loi de stérilisation. Wettstein intervient sur « les fondements génétiques de l’hygiène raciale ».[61] De même Timoféeff-Ressovsky collabore à la revue Der Erbarzt de Verschuer et y encourage à une radicalisation de la politique eugéniste.[62]

Outre les instituts de pure recherche de la Société Kaiser Wilhelm, l’Université de Berlin dispose ou met en place trois chaires ou instituts :

  • La chaire d’anthropologie à l’université, qui existait depuis 1909, dont Eugen Fischer est titulaire de 1927 jusqu’à sa retraite en 1942. Eugen Fischer adhère au NSDAP (parti nazi) en 1939. Sous Weimar, il avait soutenu le DNVP, le parti de la droite nationaliste et conservatrice. C’est donc un converti politique plutôt tardif. Mais son importance ne réside pas là. Fischer est celui qui a révolutionné l’anthropologie physique en Allemagne, en la faisant passer de la crâniologie du 19e siècle à la génétique humaine du 20e siècle. Et il a associé cette modernisation scientifique à une orientation idéologique en faveur de l’hygiène raciale et du racisme nordique. Fischer mettra dès 1933 tout son pouvoir scientifique et toutes les ressources de son institut au service de la politique eugéniste et raciale du nouveau régime.
  • Son successeur à la chaire d’anthropologie, son collaborateur Wolfgang Abel, assistant à l’IKW d’Anthropologie depuis 1931, bien que spécialiste de « génétique raciale », est un beaucoup plus petit calibre scientifique. Il n’a pas les talents d’organisateur de la recherche scientifique et la vision à long terme d’Eugen Fischer. Maître de conférence à l’université de Berlin depuis 1933, membre du Parti nazi autrichien depuis 1932, membre de la SS, du SD, collaborateur de l’Office de la Politique Raciale du NSDAP, SS-Unterscharführer au RuSHA-SS, et travaillant pour l’Ahnenerbe (l’organisme de recherche de la SS responsable de nombreuses expériences criminelles[63]), Abel réussira à obtenir, outre la direction du Département de Raciologie à l’IKW d’Anthropologie, la création d’un gros « Institut de Biologie raciale » à l’Université, qui voulait sans doute rivaliser avec celui que se bâtissait son collègue Loeffler à Vienne, et dont les locaux sont fournis par des appartements confisqués aux Juifs. Il produisait aussi une quantité importante de certificats raciaux, que ce soit pour les « métis de couleur » (ceux qualifiés de « Bâtards de Rhénanie », où il officia comme principal expert) ou les Juifs. Il n’hésitera pas non plus à utiliser la main d’œuvre esclave du camp de Sachsenhausen pour effectuer les calculs des données anthropométriques et dermatoglyphiques (l’étude de la transmission génétique et de la distribution raciale des empreintes palmaires et digitales) de ses enquêtes raciales sur les prisonniers de guerre soviétiques.
  • Fritz Lenz et son « Institut d’Hygiène raciale » dès 1933 (voir plus loin).
  • L’Institut de Biostatistiques dirigé par Siegfried Koller, et créé spécialement pour lui. Koller vient de Giessen, où il dirigeait le Département de Statistiques de l’hérédité de l’Institut de Défense de l’Hérédité et de la Race de l’ultra-nazi Heinrich Wilhelm Kranz. Elève du statisticien juif et eugéniste Felix Bernstein, Koller est le co-auteur, avec Harald Geppert, du manuel Erbmathematik (1938) – « l’ouvrage de référence allemand en génétique des populations mathématique ».[64] Comme le montrent ses publications, les travaux de statistiques génétique et médicale de Koller n’ont qu’une fonction : fournir des outils mathématiques à la politique eugéniste. Plusieurs autres mathématiciens et statisticiens spécialisés dans les questions eugénistes et génétiques forment les étudiants berlinois à ces questions, dont le même Geppert et Mittmann.

Sinon, les autres intervenants agissent en ordre plus dispersés. Les hygiénistes ne sont pas particulièrement nombreux. L’hygiéniste Hans Reiter, qui est également président de l’Office de la Santé du Reich, enseigne certes pendant la plus grande partie du régime, mais Franz Schütz part dès 1934 pour aller prendre la tête de l’Institut d’Hygiène de Göttingen. Quant au directeur de l’institut d’Hygiène de Berlin, Heinz Zeiss (directeur de 1933 à 1945), il se tient en retrait de cet enseignement. En revanche, l’un de ses « poulains », Joachim Mrugowsky, devenu chef de l’hygiène au sein de la SS (et responsable de la distribution du Zyklon B)[65], enseigne en 1940-1941 sur les méthodes pour enquêter sur la biologie des populations villageoises et urbaines. Les psychiatres ne sont pas beaucoup plus actifs en termes d’enseignement, bien que les deux détenteurs successifs de la chaire de psychiatrie et neurologie, Karl Bonhoeffer (titulaire de 1912 à 1938) et Maximinian de Crinis (titulaire de 1938 à 1945), soient tous deux des adeptes précoces de la cause eugéniste. Autrichien, Crinis avait participé à Graz en 1927, à la fondation d’une société eugéniste.[66] En outre, Bonhoeffer participait comme expert aux stérilisations[67], et de Crinis était l’une des éminences grises de l’euthanasie des malades mentaux.[68] Trois psychiatres font cours sur l’eugénisme, Kurt Pohlish qui part en 1934 occuper la chaire de Bonn, Rudolf Thiele qui part occuper celle de Greifswald en 1938, et Hans Heinze, directeur depuis 1938 de l’asile psychiatrique de Brandenburg-Görden, expert dans l’opération T4 et l’un des trois principaux responsables de « l’euthanasie des enfants » (son asile servira d’ailleurs de centre – appelé « Kinderfachabteilung » – d’expertise et de mise à mort des enfants handicapés et fournira des centaines de cerveaux au Pr. Julius Hallervorden de l’IKW de Recherche sur le Cerveau). Parmi les autres médecins, signalons la présence de W. Jaensch, un des principaux représentants de la « théorie des types constitutionnels » en médecine (théorie selon laquelle tel ou tel type de constitution physique est plus ou moins disposé à succomber à telle pathologie); et de Friedrich Curtius, un spécialiste de médecine interne, neurologie et génétique médicale, directeur du Département de Pathologie génétique de la 1ère Clinique médicale universitaire de la Charité, qui siège également en tant qu’expert dans le Tribunal de Santé Héréditaire et la Cour d’Appel régionale (EGOG), et produit des certificats raciaux pour l’Office de Généalogie du Reich. Comme autre personnalité significative enseignant à la Faculté de médecine, signalons la biologiste Paula Hertwig, une des rares femmes professeur d’université, réputée pour ses travaux de génétique, où elle produit notamment par rayonnements des mutations pathologiques chez des souris,[69] et qui n’hésite pas à s’allier avec l’anthropologue et expert racial de la SS Bruno K. Schultz, pourtant intellectuellement un peu simplet.

La raciologie est enseignée par de nombreux professeurs. Outre Eugen Fischer, Hans Weinert, et Wolfgang Abel, tous trois de l’IKW d’Anthropologie, on remarque : justement le même Bruno Kurt Schultz, responsable « science de la race » du RuSHA-SS, donc, maître de conférence puis professeur à Berlin de 1937 à 1941, qui exerce, entre autres choses, ses étudiants au « diagnostic racial » ; le zoologue Paul Deegener ; et Hans F. K. Günther, le « pape de la race » qui dirige un petit « Centre de Raciologie, ethnobiologie et sociologie rurale » à l’Université de Berlin de 1935 à 1940. Plusieurs universitaires enseignent la « psychologie raciale », dont le plus connu est Ludwig Ferdinand Clauss qui, bien que membre du Parti nazi puis de la SS et, sans doute pour mieux étudier « l’âme raciale juive », vivait en cachette en concubinage avec sa secrétaire juive.[70] Le « droit racial » est enseigné par Falk Ruttke, jusqu’à son départ pour l’Université SS de Iéna en 1940, puis par H. Lemmel. Walter Gross, le directeur de l’Office de la Politique Raciale du NSDAP est professeur honoraire. Même la « Faculté des sciences de l’étranger », en 1940, se met à enseigner la composition raciale de chaque peuple pouvant entrer en relation avec le IIIe Reich. Et à la Faculté d’Agronomie, Murr explique comment mener des recherches généalogiques et expose leur applications pratiques sous le IIIe Reich, avec des démonstrations.

La « crimino-biologie » (Kriminalbiologie) est en grande partie prise en main par des intervenants extérieurs venus des centres de recherche de l’Office du Reich de la Santé et rattachés à l’université. Outre l’IKW d’Anthropologie et l’IKW de Recherche sur le Cerveau, un autre centre de recherche important situé à Berlin menait des recherches en génétique humaine et hygiène raciale : la « Section L (médecine de l’hérédité) », de l’Office du Reich de la Santé (Reichsgesundsheitsamt = RGA), office présidé par le Pr. Hans Reiter. La Section L (médecine de l’hérédité), dirigée par le Dr. Eduard Schütt depuis 1935, se divisait elle-même en quatre « sous-sections » qui étaient autant d’instituts de recherche : Sous-section L1 : « Entretien de l’hérédité et de la race général et appliqué », dirigé depuis 1934 par le Dr. Eduard Schütt ; Sous-section L2 : « Centre de recherche en criminobiologie », dirigé de 1937 à 1941 par le Pr. Ferdinand von Neureiter, puis, de 1941 à 1945, par le spécialiste des « Tziganes » Dr. Dr. Robert Ritter, qui fusionne cette « sous-section avec sa Sous-section L3 : « Centre de recherche en hygiène raciale et bio-démographie », qu’il dirige depuis 1936 ; Sous-section L4 : « Institut de recherche génétique », dirigé de 1937 à 1942, par le généticien Pr. Günther Just. La mission principale de ces centres de recherche est de collecter et d’analyser des données médicales, génétiques et raciales sur des millions d’Allemands afin d’orienter la politique sanitaire et hygiéniste raciale de l’État nazi.

Deux de ces directeurs enseignent également à l’Université de Berlin, tous deux dans le domaine de la « crimino-biologie » (Kriminalbiologie), une criminologie médicale d’orientation eugéniste: Neureiter et Ritter. L’« Office de Recherche en Biologie du crime » installé en 1937 dans les locaux de l’Office de la Santé du Reich (RGA), pour chapeauter l’organisation et le travail de tous les « Bureaux de collecte en biologie du crime » régionaux créés la même année, qui eux-mêmes regroupent les données venues de toutes les prisons du pays, constitue sans doute le plus gros centre de recherche en « Kriminalbiologie » en Allemagne, avec celui de Viernstein à Munich qui était associé à l’IKW de Recherche Psychiatrique.[71] Le centre de Berlin est d’abord dirigé par le Pr. Ferdinand von Neureiter, un Allemand né à Budapest, ayant fait ses études de neurologie et psychiatrie à Vienne et nommé Pr. extraordinaire de médecine légale en 1922 à l’Université de Riga (Lettonie). En 1924, Neureiter, alors directeur de l’Institut de médecine légale, crée un bureau de recherche en « biologie du crime ». De 1924 à 1938, il enseigne comme maître de conférence à l’Université de Vienne. Il fut l’un des fondateurs de la « Société de Crimino-Biologie » en 1927, jusqu’à ce qu’il vienne à Berlin en 1937, diriger l’Office de Recherche en Crimino-Biologie et enseigner à partir de 1938 à l’université. Les cours de Neureiter, donnés dans le cadre de la faculté de droit, ont lieu à la maison d’arrêt de la Lehrter Strasse, de telle sorte « que les détenus de la prison puissent être largement mis à contribution pour les démonstrations. »[72] Il sera ensuite relayé par le directeur de la « Recherche sur les Tziganes » Robert Ritter (voir plus loin) et par le psychiatre Otto Wuth (à la faculté de médecine.

Digression : classer et castrer les homosexuels

Le psychiatre Otto Wuth était aussi impliqué dans les expertises pour la castration des homosexuels.[73] La castration fut introduite dans l’arsenal pénal allemand par les nazis avec le § 42 de la « Loi contre les criminels récidivistes dangereux » de 1933. La loi prévoyait la possibilité de la castration pour les viols et détournements de mineurs, incitations au viol, exhibitionnisme et crimes sexuels avec homicide. Dans la très grande majorité des cas, sauf pédérastie avec des enfants de moins de 14 ans ou exhibitionnisme, les homosexuels n’étaient pas concernés par cette loi. Ce ne fut qu’en juin 1935, avec la « Loi de modification de la loi pour la prévention de la transmission des maladies héréditaires à la descendance » (la loi de stérilisation eugénique du 14 juillet 1933) que la « castration sur indication de la police criminelle » pouvait être autorisée pour les homosexuels si elle pouvait les « libérer de leur pulsion sexuelle dégénérée ». Selon les médecins eugénistes, la castration avait le double avantage de d’annihiler la pulsion sexuelle (et donc le comportement déviant) et d’empêcher que cette « tare héréditaire » ne se diffuse davantage dans la population allemande. En juillet 1940, un décret de l’Office supérieur de la sécurité du Reich (RSHA) ordonnait la déportation en camp de concentration des homosexuels qui avaient « détourné » plus d’un partenaire. Quelques mois plus tard, un nouveau décret de l’Office de la Police criminelle du Reich (RPKA) prévoyait que la déportation en camp pouvait être annulée si les homosexuels condamnés se laissaient castrer. Le suivi de la castration était assuré par les bureaux locaux de crimino-biologie et l’ensemble de la lutte contre l’homosexualité était géré par la « Centrale du Reich pour la lutte contre l’homosexualité et l’avortement ».

En 1936, Himmler avait passé un décret secret pour les services de police et de la sécurité mettant en place les mesures destinées à lutter contre l’homosexualité. Il créait à cette fin un organisme central, chargé de coordonner le suivi de la question: la « Centrale du Reich pour la lutte contre l’homosexualité et l’avortement » (les deux choses étaient mises sur le même plan de sabotage de la politique démographique – Bevölkerungspolitik). La Centrale mettait en fiche et centralisait toutes les informations sur les cas d’homosexualité signalés par la police, dans l’armée et dans les organisations de jeunesse (Jeunesses Hitlériennes, etc.). Elle était reliée à 15 centrales régionales qui tenaient les informations à la disposition de la Kripo (police criminelle) et de la Gestapo. Dans la seule année 1938, près de 29 000 hommes furent condamnés pour homosexualité. Quatre ans après sa fondation, elle réunissait déjà des dossiers sur 41 000 hommes arrêtés pour homosexualité ou soupçonnés d’être homosexuels et 33 000 pour pédérastie.

Le directeur de la « Centrale » était aidé par le médecin SS-Sturmbannführer Dr. Carl-Heinz Rodenberg, comme directeur scientifique. Ce dernier, un psychiatre et neurologue, avait déjà exercé comme expert dans un Tribunal d’appel de Santé Héréditaire (EGOG) pour la loi de stérilisation à Berlin, puis plus tard dans l’opération d’euthanasie T4; et il soutenait l’extension de la castration obligatoire pour les homosexuels. Rodenberg poursuivit sa carrière lorsque l’Office de la Police criminelle du Reich (RKPA) fut intégré en tant qu’Office V (lutte contre la criminalité) à l’Office supérieur de la Sécurité du Reich (RSHA) en 1939. En 1944, Rodenberg, avec le rang de Gruppenleiter, était directement subordonné au chef de l’Office V en tant qu’expert, chargé entre autres des expertises sur les homosexuels auprès des instances pénales, des effets de la castration sur les « criminels sexuels » (dont les homosexuels), du traitement psychothérapeutique des homosexuels castrés, des expertises quant à leur remise en liberté, etc. En effet, l’objectif était de distinguer les homosexuels « congénitaux » et « héréditaires » des homosexuels « occasionnels » qui s’étaient laissés entraîner à cette sexualité déviante par les circonstances. Seuls les premiers devaient êtres castrés, car les autorités ne voulaient pas qu’ils se reproduisent. Les seconds, au contraire, devaient être dissuadés par la répression et la terreur, rentrer dans le rang de l’hétérosexualité et accomplir leur devoir démographique. Les castrer reviendrait à priver la nation de plusieurs dizaines de milliers de naissances précieuses.

La mise en fiche et le suivi étaient assuré par les médecins des camps de concentration, les 73 « Bureaux de Recherche en Biologie du Crime » dispersés dans le Reich et les dossiers transmis aux 9 « Bureaux de Collecte en Biologie du Crime » avant d’être centralisés par l’Office de la Santé du Reich. Le suivi servait à évaluer l’efficacité médicale et sociale de la castration et ses effets.

De leur côté, les experts médicaux et l’administration médicale ne restaient pas inactifs. Dès 1935, le Dr. Gütt, directeur ministériel du Département de Santé du peuple au Ministère de l’Intérieur du Reich et l’un des architectes de la loi de stérilisation eugénique avec Rüdin, prenait contact avec la Gestapo afin que les dossiers collectés sur les homosexuels arrêtés puissent être transmis à l’Office de la Santé du Reich pour étudier « dans quelle mesure, il peut être remédié à la diffusion de cette disposition héréditaire anormale dans notre peuple ». La collaboration avec les organismes médicaux concernait essentiellement trois instituts, dont l’Institut de psychiatrie générale et psychologie militaire du Groupe militaire C de l’Académie de médecine militaire à Berlin, dirigé par le professeur de psychiatrie berlinois Otto Wuth, et l’Institut de Recherche en Génétique humaine et Politique raciale de l’Université d’Iéna, dirigé par l’hygiéniste racial ultra-nazi, le Pr. Karl Astel. Pour mener son enquête sur la nature de l’homosexualité, le Pr. Wuth obtint, avec l’appui de Heydrich, les dossiers de la Gestapo et de la Kripo sur les homosexuels enrôlés dans l’armée.[74] En outre, la Centrale collaborait avec les Bureaux de collecte en biologie du crime.

Afin de distinguer les « homosexuels congénitaux » des « homosexuels occasionnels », et décider de la psychothérapie, de la castration, de la punition dissuasive ou d’un autre « traitement », chaque secteur militaire se voyait attribuer un expert psychiatrique, dont une bonne partie était professeurs de psychiatrie en université et déjà impliqués dans la politique eugéniste. Parmi eux: le Pr. Friedrich Mauz à Königsberg (titulaire de la chaire de psychiatrie de 1939 à 1945), le Prof. Müller-Hess (titulaire de la chaire de médecine légale de 1930 à 1949) à Berlin, le Prof. August Boestroem, titlaire de la chaire de psychiatrie à la Reichsuniverstät de Strasbourg, le Dr. Panse, maître de conférence à l’Université de Bonn, pour Cologne, le Pr. Oswald Bumke à Munich (titulaire de la chaire de psychiatrie de 1924 à 1945), le Pr. Werner Villinger, titulaire de la chaire de psychiatrie (de 1940 à 1945) à Breslau, le Pr. Karl Kleist, titulaire de la chaire de psychiatrie (de 1920 à 1950) à Francfort, le Pr. Hans Bürger-Prinz, titulaire de la chaire de psychiatrie (de 1937 à 1966) à Hambourg, le Pr. Gottfried Ewald, titulaire de la chaire de psychiatrie (de 1934 à 1958) à Göttingen, le Pr. Carl Schneider (titulaire de la chaire de 1933 à 1945) à Heidelberg, le Pr. Friedrich Meggendorfer, titulaire de la chaire de psychiatrie (de 1934 à 1947) à Erlangen (Mauz, Panse, Villinger et C. Schneider servaient également comme experts pour l’opération d’euthanasie T4). Depuis 1944, le Pr. Max de Crinis, titulaire de la chaire de psychiatrie de Berlin, remplaçait le Pr. Otto Wuth comme expert supérieur (en cas de désaccord entre les experts) concernant les cas d’homosexualité.

 

Munich: maintien des traditions et faillite d’un « politique »

L’Université de Munich possédait le plus vieil institut d’anthropologie d’Allemagne, fondée en 1886. L’hygiène raciale y avait aussi tradition, puisqu’elle y était enseignée à Munich par des hygiénistes depuis 1913. Et c’est aussi à Munich qu’avait été créé la première chaire d’hygiène raciale en Allemagne, pour Fritz Lenz, en 1923. Dans le domaine de l’anthropologie et de la raciologie, on observe la plus grande continuité. Depuis 1926, l’Institut d’Anthropologie était dirigé par Theodor Mollison et il le restera jusqu’en 1944. Mollison combine l’anthropologie physique traditionnelle avec des recherches sur l’analyse des protéines du sang comme technique d’identification raciale ou de liens de parenté. Mollison est aussi un hygiéniste racial militant. Il préside la Société d’Hygiène Raciale de Munich et co-édite la revue Archiv für Rassen- und Gesellschaftsbiologie. C’est aussi un hygiéniste racial völkisch et raciste, partisan d’une « re-Nordification raciale » progressive et « modérée » de l’Allemagne. Parmi ses collaborateurs, Bruno K. Schultz qui co-édite avec lui l’Anthropologischer Anzeiger, lui aussi nordico-raciste militant et chef, depuis 1932, du département « science de la race » du RuSHA-SS, Emil Breitinger ou Christian von Krogh, enseigneront aussi la raciologie et l’anthropologie en tant que maîtres de conférence à l’Université de Munich. Parmi ses étudiants en thèse, l’un, qui passera son premier doctorat en 1935, deviendra notoirement célèbre : Josef Mengele.

Avec le départ de Fritz Lenz pour Berlin en 1933, les autorités bavaroises se mirent à la recherche d’un remplaçant pour la chaire d’hygiène raciale, digne de cette université. Elle confièrent finalement le poste à un médecin ultra-politisé et un outsider du monde académique, Lothar Gottlieb Tirala, un gynécologue allemand de Brünn en Tchécoslovaquie. Depuis 1930, Tirala publiait dans des journaux nazis. Formé auprès du biologiste holiste Jakob von Uexküll, Tirala défendait des théories académiquement peu orthodoxes sur l’« imprégnation », le « principe de forme organique » et « l’oscillation rythmique de l’énergie héréditaire » qui s’opposaient aux néo-darwinisme et à la génétique mendélienne. Rüdin, Lenz et Ploetz se prononcèrent contre sa nomination, mais Tirala bénéficiait de soutiens politiques importants, dont celui d’Eva Wagner, la fille du compositeur, de Philipp Lenard, le Prix Nobel défenseur de la « physique aryenne », ou du Gauleiter Streicher, le Reichspornograph et rédacteur en chef du torchon antisémite Der Stürmer. Tirala se lança dans des recherches pour démontrer l’hérédité des caractères acquis (le néo-lamarckisme, rejeté par la très grande majorité des généticiens allemands et anglo-saxons), et des « recherches expérimentales sur la télégonie (imprégnation) avec des renards argentés et roux » dans une ferme de Haute-Bavière.[75] La théorie de l’imprégnation était une théorie, adoptée par l’ultra-antisémite Streicher mais condamnée par la plupart des scientifiques, selon laquelle toute femme ayant eu une fois des rapports sexuels avec un Juif restait « imprégnée » à vie par le sperme juif et cela risquait de se voir dans les enfants qu’elle aurait plus tard avec d’autres hommes. En 1935, Walter Gross, le chef de l’Office de la Politique Raciale du NSDAP, doit intervenir pour condamner officiellement les théories de l’imprégnation de Streicher, Tirala et consort, théories qu’il juge « scientifiquement insoutenables » et ferments de « grands dangers politiques » en ce qui concernait l’application des lois raciales de Nuremberg. Heureusement pour les autres eugénistes de l’establishment universitaire (Lenz, Rüdin, Luxemburger, Kürten, etc.) qui voulaient absolument l’éliminer car il menaçait la respectabilité scientifique de l’hygiène raciale allemande avec ses délires génétiques et para-médicaux, les autorités bavaroises furent informées par le Consulat allemand à Brünn des manquements déontologiques et malversations professionnelles de Tirala quand il était en Tchécoslovaquie. Il s’y était enrichi en pratiquant des avortements interdits, en délivrant des notes d’honoraires surélevées, en commettant des trafics d’argent avec des médecins juifs, et autres manquements aux code déontologique de la profession médicale. Histrion paranoïaque et procédurier cauchemardesque pour les administrations nazies car bénéficiant de puissants soutiens politiques, Tirala sera finalement révoqué de la chaire d’hygiène raciale de l’Université de Munich en 1936.

La chaire restée vacante, Rüdin, le directeur de l’IKW/DFA de Recherche Psychiatrique, fut nommé directeur intérimaire de l’Institut d’Hygiène Raciale. Rüdin devait assumer les cours d’hygiène raciale avec Hans Luxemburger, son principal collaborateur en génétique psychiatrique de l’IKW. Le recteur de l’université, qui se plaignait avant des cours de Tirala qui laissaient « beaucoup à désirer » et faisaient fuir les étudiants en médecine, notait satisfait que les cours de Rüdin et Luxemburger avaient un tel succès qu’il avait fallu leur trouver un plus grand amphithéâtre. L’Institut d’Hygiène Raciale de l’Université devint une annexe de l’IKW de Recherche Psychiatrique et fut d’ailleurs transféré dans ses locaux. Aucun successeur de Tirala n’ayant pu faire l’unanimité, Rüdin resta directeur intérimaire jusqu’à la fin du régime nazi.

Rüdin avait déjà été nommé, par une sorte de « putsch »  politique, président de la Société Allemande d’Hygiène Raciale en 1933, en remplacement d’Eugen Fischer qui avait eu le malheur de s’allier à des eugénistes centristes comme Muckermann à Berlin. La même année, Rüdin est nommé responsable du « Groupe de travail II » du « Conseil des Experts pour la Politique Démographique et Raciale » (Sachverständigenbeirat für Bevölkerungs- und Rassenpolitik) du Ministère de l’Intérieur du Reich (Lenz et H.F.K. Günther en font également partie).[76] En 1934, Rüdin fut coopté avec Hermann Merkel, détenteur de la chaire de médecine légale, pour siéger au Tribunal d’Appel de Santé Héréditaire, chargé de trancher les cas de stérilisation contestés. Entre 1934 et 1944, Rüdin rédigea des centaines ou des milliers de recommandations et d’expertises. En général, il s’y montrait un partisan très zélé de la stérilisation eugénique.[77] En 1937, il rejoignit le Parti nazi. Il organisa de nombreux colloques et séminaires pour former les médecins et les fonctionnaires à l’hygiène raciale. Il joua un rôle de premier plan dans la politique eugéniste du régime nazi et peut même être considéré comme l’un de ses principaux architectes. En 1935, Rüdin est désigné président de la Société Allemande des Neurologues et Psychiatres. Paul Nitsche, avec Rüdin un des plus anciens militants du mouvement eugéniste allemand, directeur du gros asile de Sonnenstein-Pirna et futur responsable médical de l’opération d’euthanasie T4, est nommé au poste de secrétaire général de la même société. Plusieurs membres du comité directeur de cette société sont de futurs artisans de l’euthanasie, dont de Crinis, alors détenteur de la chaire de neuro-psychiatrie de Cologne, et Carl Schneider, de celle d’Heidelberg. Sans être un des agents actifs de l’euthanasie, Rüdin sera impliqué dans l’opération. Et son Institut de Recherche sera alimenté en centaines de cerveaux d’enfants handicapés euthanasiés dans les asiles bavarois de Haar-Eglfing et Kaufbeuren-Irsee.[78]

 

Bonn: de l’hygiène et la psychiatrie génétique à l’euthanasie

Bonn, pour une université d’une ville de taille assez modeste, disposait d’un engagement significatif en faveur de l’hygiène raciale, tant de la part des psychiatres que des hygiénistes. Côté raciologie, le sujet intéressait aussi bien anatomistes et biologistes que psychologues. Le premier a y avoir enseigné de l’ « Histoire raciale » (Rassengeschichte) dès 1931 est le professeur d’histoire médiévale et titulaire de la chaire depuis 1922 Fritz Kern, auteur en 1927 d’un livre en faveur de la supériorité universelle de la race nordique, race nomade et guerrière par excellence selon lui.[79] L’anatomiste Ferdinand Wagenseil enseigne à partir de 1933 en faculté de médecine la génétique humaine, la raciologie et la théorie des types constitutionnels. Raciologie et eugénisme intéressent également des biologistes, tel August C. A. Reichensperger (professeur de 1928 à 1948), Johannes Fitting, professeur titulaire, ou le zoologue Hermann Wurmbach, qui font des cours sur « Génétique et raciologie », « Génétique et eugénisme » ou les « Fondements biologiques de la raciologie ». Outre Fritz Kern, la question raciale trouvait aussi de nombreux adeptes dans la faculté de philosophie (où étaient également regroupées la littérature, les langues et toutes les sciences humaines), avec des cours sur « art et race » ou sur la « psychologie raciale ».

En ce qui concerne l’hygiène raciale, l’hygiéniste Fritz Bach commença dans le milieu des années 1920 à y enseigner les « Fondements scientifiques de l’hygiène raciale », suivi de 1930 à 1937 par Traugott Wohlfeil, puis Walter Blumenberg qui ne l’enseigne qu’en 1933-1934, avant de prendre la tête de l’Institut d’Hygiène de Breslau, et Hugo Selter, directeur de l’Institut d’Hygiène de Bonn (depuis 1926), qui prend le relais de Wohlfeil jusqu’en 1939.

Mais à Bonn, la tradition de l’eugénisme s’ancrait également dans la psychiatrie avec le Prof. Hübner, décédé en 1934. Deux des principaux acteurs de l’hygiène raciale académique n’étaient pas des « politiques » mais plutôt des universitaires – en l’occurrence des psychiatres: Kurt Pohlisch et Friedrich Panse – assez peu marqués politiquement, même si Kurt Pohlisch, détenteur de chaire de psychiatrie et de neurologie de l’université, fit sa leçon inaugurale de 1934 en uniforme des jeunesses hitlériennes. Il semblerait que Pohlish, qui dirigeait également la clinique neuro-psychiatrique universitaire et l’asile psychiatrique provincial, n’était membre que des jeunesses hitériennes. Quant à son second, Friedrich Panse, il ne s’inscrivit qu’en 1937 au NSDAP. Il ne s’agissait donc pas de nazis devenus universitaires mais d’universitaires devenus nazis.

À Bonn, il ne fut pas créé d’institut ni de chaire spécifiquement dédiée à l’hygiène raciale ou à la raciologie. Toutefois, on y fonda en 1934, sous la direction de Pohlisch, l’« Institut de la province rhénane pour la recherche psychiatrique et neurologique sur l’hérédité ». L’institut, qui devait remplir des « tâches pratiques eugéniques et scientifiques », servait en même temps de centrale pour la mise en fiche médicale et génétique de la population locale. Dès 1936, son fichier répertoriait « environ 300 000 personnes de la province rhénane ». Le Pr. Pohlisch en effet conçut son institut comme un centre « où sera fiché tout malade mental traité dans un établissement spécialisé au cours des dix dernières décennies, pourvu qu’on puisse en retrouver la trace. » Son but était « de ne pas faire seulement de la psychiatrie de l’individu, mais également de toute sa parenté » et il tenta de concilier la psychiatrie clinique et la psychiatrie génétique.[80] Le médecin-chef de Pohlisch, Friedrich Panse (1899-1973), d’abord dozent de psychiatrie et de neurologie, sera chargé de cours en hygiène raciale pour la faculté de médecine de 1937 à 1945. En 1942, il fut nommé professeur extraordinaire de « psychiatrie, neurologie et hygiène raciale ». L’institut de génétique psychiatrique de Bonn travaillait en collaboration avec les instituts d’hygiène raciale de Cologne et Francfort.

Panse avait produit plusieurs travaux de génétique psychiatrique qui firent de lui une autorité dans le domaine, avec un manuel sur les Questions génétiques dans les maladies mentales (1936). Ses travaux (une soixantaine de publications de 1924 à 1943) allaient d’une recherche exhaustive sur toutes les familles porteuses de la chorée de Huntington en Rhénanie (qui, selon Verschuer « donnait un précieux savoir et de nouveaux fondements pour le combat de l’hygiène raciale contre cette affection » soumise à stérilisation depuis la Loi de 1933) à l’analyse des déficiences biochimiques cérébrales associées à cette maladie et une étude sur l’abus de somnifères avec Pohlisch. Panse faisait de nombreuses conférences sur l’hygiène raciale devant diverses organisations nazies et collaborait avec l’OPR de Rhénanie. Il était membre des cours d’appel des tribunaux de santé héréditaire de Berlin et de Cologne (EGOG).

Pohlisch lui-même était président du groupe local de la SAHR et préconisa plus tard, alors qu’il participait, avec d’autres psychiatres, au débat sur la formulation de la future loi d’euthanasie, d’accorder: « la grâce de la mort à tout être humain souffrant d’une maladie incurable, le gênant fortement lui-même ou les autres ».[81] Les psychiatres Pohlisch et Panse devaient être « fortement gênés » par leurs malades mentaux car ils firent tous deux partie du panel d’expert de l’opération T4 décidant (pour 5 pfennigs par dossier) d’euthanasier, ou non, les malades mentaux dont on leur envoyait les dossiers.[82] Peu après la première grande réunion à Berlin du personnel psychiatrique impliqué dans l’opération d’euthanasie, Pohlisch confia à une collègue qu’il se réjouissait des « transformations décisives » que connaissait alors la psychiatrie allemande et de la « fraîcheur » et « vie » nouvelle qu’on y introduisait [83].

 

Loeffler: la défense de la race et de la science à Königsberg

À Königsberg, capitale excentrée de la Prusse orientale, l’hygiène raciale (et la génétique) n’était enseignée, avant 1933, que par l’hygiéniste W. Bachmann, professeur extraordinaire et chargé de cours en hygiène sociale jusqu’en 1936, date à laquelle il partit diriger l’Institut d’hygiène de Kiel. En 1933-34, plusieurs professeurs de médecine se mirent à enseigner l’hygiène raciale et la génétique des pathologies, dont le détenteur de la chaire de psychiatrie August Boestroem et le directeur de la clinique gynécologique Felix von Mikulicz-Radecki, auteur avec le professeur de chirurgie de Breslau Karl H. Bauer d’un ouvrage sur la Pratique opératoire des stérilisation (1936).[84]

On créa en 1934, pour Lothar Loeffler (1901-1983), membre du NSDAP depuis 1932 (et de la SA), une chaire de professeur ordinaire de « biologie raciale et génétique » avec un « Institut de biologie raciale » relevant à la fois des facultés de médecine et de philosophie. Loeffler avait été l’assistant d’Eugen Fischer de 1927 à 1929 à Berlin. Habilité en anthropologie en 1931 à Kiel, il y enseigna ensuite comme maître de conférence. Il considérait la recherche en génétique fondamentale et sur l’eugénisme comme les principaux domaines de son activité à côté de la raciologie d’orientation biologique. Ceci est illustré par ses demandes de crédits de recherches. En 1936, il réclame une machine à carte perforées (les ancêtres des ordinateurs IBM) pour une analyse statistique, dans une perspective eugéniste, des taux de reproduction de diverses catégories de la population locale. La même année, il demande une subvention pour des recherches de génétique expérimentale sur « les mutations générées par les rayons X chez les mouches drosophiles ». En 1942, Loeffler obtient des crédits de recherche pour établir une étude « sérologique sur la différenciation raciale chez l’homme ». En 1943, parallèlement à ses travaux de génétique expérimentale qu’il continue, il mène une enquête de biologie raciale sur des « prisonniers de guerre de races étrangères ».[85]

Sur le plan politique, il exerçait simultanément les fonctions de directeur des centres régionaux d’information de « Défense de l’hérédité et de la race » (Erb- und Rassenpflege) avec le médecin-chef Dr. Horneck, spécialiste du conseil génétique aux couples, et de président du groupe local de Königsberg de la Société Allemande d’Hygiène Raciale. Outre l’Office de Politique Raciale régional (OPR) qu’il dirigeait, Loeffler appartenait en sus à l’OPR central du NSDAP de Berlin et entretenait de ce fait un contact étroit avec le directeur de l’office central, Walter Groß. En 1936, lors d’une célébration universitaire, Loeffler justifia dans un discours « l’idée de la sélection comme revendication en médecine » : « Nous médecins […] nous le savons : Maintenir la santé du corps du Peuple n’est possible que par une sélection permanente; une sélection qui aura pour effet que des groupes d’êtres vivants, de valeurs inégales du point de vue de leur hérédité, auront une part différente dans la formation de la génération suivante. »[86] En 1942, Loeffler confie à Duis la direction de l’institut de Königsberg et part à l’Université de Vienne, où il commence à organiser l’un des plus grands instituts de biologie raciale du Reich, ne prévoyant pas moins de six départements, dont seulement quatre seront occupés avant la fin de la guerre.

 

Verschuer à Francfort: universitaires contre fonctionnaires

Sous Weimar, Francfort avait la réputation d’être une « ville juive ». Le directeur de l’Institut d’anthropologie physique, Franz Weidenreich (1873-1948 New York), juif, social-démocrate, antiraciste et néo-lamarckien, devait d’ailleurs son poste et son institut au soutien de la principale organisation juive allemande et du Parti Social-démocrate local. Professeur honoraire d’anthropologie physique et de raciologie de 1928 à 1935[87] et surtout connu internationalement pour ses travaux de paléoanthropologie sur le Sinanthropus pekinensis, Weidenreich entreprit aussi sous Weimar des recherches sur l’anthropologie raciale des Juifs allemands qui devaient être publiées dans la collection de monographies « Deutsche Rassenkunde » (Raciologie allemande) publiées sous la direction d’Eugen Fischer.[88] Weidenreich fut démis par les nazis pour le double motif de son origine juive et de son appartenance au SPD. Il s’était en outre fait remarqué par deux ouvrages qui attaquaient les théories raciales nordicistes et antisémites.[89] Professeur invité à Chicago en 1934, il resta en Chine de 1935 à 1940 après son expédition scientifique sur le Sinanthropus, puis émigra finalement aux États-Unis en 1940.[90]

Il semblerait que l’hygiéniste Ludwig Ascher, directeur du Bureau d’enquête en hygiène sociale, qui enseignait « l’hygiène de l’hérédité » depuis 1921 à la faculté de médecine de Francfort, ait été lui aussi révoqué en 1933 en raison de ses origines juives. Hormis le vieux professeur de dermatologie et de vénérologie à la retraite Ernst von Dühring qui avait repris à 70 ans une charge de cours en pédagogie sanitaire où il enseignait l’hygiène raciale, il n’y avait pas un seul eugéniste rescapé de la période weimarienne. Le seul à avoir réussi à conserver son enseignement de raciologie était l’anatomiste Richard Wegner, directeur d’un des départements de l’Institut d’anatomie et professeur extraordinaire depuis 1923. Mais, face à l’imposant institut du Pr. von Verschuer, il n’avait aucune chance de s’imposer.

À Francfort, la création d’un institut d’hygiène raciale vint de la faculté de médecine et en particulier de son doyen qui était membre de la SS, et provoqua une lutte de pouvoir avec les fonctionnaires médicaux nazis de la ville. Outre une chaire de « biologie de l’hérédité » (Erbbiologie) réclamée en 1934, la faculté de médecine avait prévu un « Institut de biologie de l’hérédité et d’hygiène raciale » si ambitieux que la ville et l’État (la région) durent en partager les frais. Verschuer, bien qu’il avait alors la réputation d’avoir des tendances « libérales » et de n’avoir pas fait preuve du moindre engagement en faveur du « mouvement national-socialiste », fut approché en raison de sa « réputation internationale ». Alors directeur du Département de Génétique humaine à l’IKW d’Anthropologie et spécialiste internationalement renommé de la « méthode des jumeaux », il accepta le poste et fit de l’institut un des plus gros centres d’hygiène raciale de l’Allemagne nazie.

La volonté de Verschuer de s’impliquer aussi, au-delà de l’enseignement et de la recherche, dans la mise en place concrète de la politique d’hygiène raciale dans la ville de Francfort conduisit, des mois durant, à des querelles de compétences avec l’Office de Santé de la ville à propos du monopole de l’information médicale sur l’hérédité.[91] En effet, depuis l’arrivée au pouvoir des nazis, le Dr. Fischer-Defoy, un fidèle du nouveau régime et le nouveau chef de service de l’Office de la santé municipal de Francfort, avait mis en place un « département de biogénétique » dont il avait confié la direction au Dr. Gerum, un autre conseiller municipal. Ce dernier avait assigné cinq missions à son département: les expertises médico-génétiques, l’application de l’eugénisme, les archives médico-génétiques, la propagande eugénique et génétique, et l’évaluation des résultats de la génétique. De toutes ces missions, les « expertises héréditaires » constituaient la tâche la plus centrale. Elles intervenaient en amont des stérilisations, mais aussi lors de l’octroi de prêts d’État préférentiels pour les couples mariés et des naturalisations. Ces expertises qui nécessitaient un examen médical très détaillé n’étaient pas très populaires dans la population. Le Dr. Gerum ordonna à « l’Association d’aide aux alcooliques » et aux bureaux d’aide sociale de lui communiquer les dossiers de tous les individus suspectés de souffrir de pathologies héréditaires. En outre, tous les dossiers personnels des Offices de conseil génétique, des Offices de conseil matrimonial, des bureaux de conseil aux femmes enceintes et sans enfants, ainsi que des instituts de soins psychiatriques devaient être transmis à son département. Les seuls instituts de soins psychiatriques pratiquaient 4000 examens médicaux chaque année. Dès que l’on soupçonnait la présence d’une maladie héréditaire, une expertise génétique était demandée et, en cas de résultat « positif », la personne était stérilisée sans qu’on lui demande son avis et, souvent même, sans qu’on la mette au courant.

Le Dr. Gerum faisait feu de tout bois pour se procurer des dossiers. Toute personne qui entrait en contact avec l’Office municipal de la Santé se voyait attribuer une « fiche génétique » (de format DIN A6). En été 1934, au bout d’un peu plus d’un an, l’Office disposait de 30 000 fiches génétiques et, en 1938, le nombre de fiches s’élevait à 230 000. La moitié de la population de la ville était fichée génétiquement. Toutes les « écoles spéciales » (écoles pour enfants – difficiles, anormaux, handicapés, etc. – n’arrivant pas à suivre une scolarité normale) étaient assignées à livrer le nom de leurs élèves présents et passés. Ce type de difficultés scolaires était interprété comme symptomatique d’un retard mental « héréditaire ». Grâce à la collecte de toutes ces données, l’Office municipal de la santé héréditaire disposait déjà en 1934 de l’historique de 26 000 patients psychiatriques, des dossiers de 20 000 personnes ayant eu besoin du bureau d’aide sociale et de 30 000 carnets de santé. En tout, l’Office municipal avait rassemblé les historiques de 100 000 patients psychiatriques. Les médecins bureaucrates de l’Office de Santé municipal étaient particulièrement zélés et actifs. En décembre 1934, ils avaient examinés et enquêté sur 60 000 dossiers. Suite au dépistage, environ 600 demandes de stérilisations supplémentaires furent lancées. L’Office de Santé municipal opérait également des expertises raciales. L’examen raciologique était confié au Prof. Richard Wegner (l’anatomiste et raciologue de l’université) tandis que l’examen génétique et l’expertise finale revenaient aux directeurs de l’Office de santé municipal.

Tout allait pour le mieux dans le plus médicalisé des mondes nazis, lorsque fut fondé en 1935 l’Institut de Génétique et d’Hygiène raciale à l’Université de Francfort qui, sous l’impulsion de l’ambitieux Verschuer, allait entrer en concurrence avec les médecins fonctionnaires de la ville. Verschuer fit jouer ses relations pour obtenir que son institut acquière aussi un pouvoir dans le domaine du « travail pratique » et obtienne le statut de « Bureau régional de conseil pour l’entretien de l’hérédité et de la race ». L’Office municipal de la Santé tenta d’abord de résister [92]. En 1936, le ministère de l’Intérieur arbitra le conflit: le Main (la rivière traversant Francfort) séparerait les domaines d’intervention de l’institut de Verschuer et de l’Office de santé de la ville.[93]

Dès la première année, Verschuer disposait d’un budget de 120 000 RM pour gérer un superbe institut, capable de rivaliser avec les IKW d’Anthropologie de Berlin et de Psychiatrie de Munich, grandiosement installé dans l’ex-immeuble, très moderne, des caisses sociales d’assurances maladies. L’institut s’était surtout vu confier, par le ministère de l’éducation, des missions de formation pour les futurs « médecins de l’hérédité ». Outre sa fonction de conseiller en génétique médicale pour les offices de santé, Verschuer siégeait en tant qu’expert auprès du Tribunal de Santé Héréditaire et du Tribunal d’Appel régional (EGOG) de ces tribunaux. Il « gérait », sur le plan de la « santé héréditaire », une zone urbaine de 90 000 habitants, qu’il devait à la fois recenser génétiquement, mettre en fiche, et « conseiller ». Chaque année, l’Institut faisait subir environ 1000 examens et produisait entre 100 et 300 certificats.[94] La très grande majorité des expertises décidaient de la stérilisation ou de « l’aptitude au mariage ». Les « certificats génétiques de race » servaient à l’Office de Généalogie du Reich (RSA) du ministère de l’Intérieur pour déterminer la situation raciale d’un individu aux origines contestées. Verschuer confia une grande partie de ces derniers à son assistant Mengele.[95]

L’institut était également un centre de formation et de propagande pour la « l’entretien de la race et de l’hérédité ».[96] Les collaborateurs de l’institut faisaient des cours de formation continue pour les médecins, organisés par la direction de la SS, l’Office de la Politique Raciale régional, la Chambre régionale des médecins ou la Ligue locale des médecins nazis. Du point de vue scientifique, on pratiquait à l’Institut de Verschuer surtout des recherches en pathologie génétique (Erbpathologie, voir plus loin), avec la méthode des jumeaux et l’analyse statistique des données familiales, ainsi que des études d’épidémiologie génétique sur des populations entières.[97] Selon Verschuer, de telles investigations avaient l’intérêt de « confirmer la justesse de notre politique démographique et raciale actuelle. »[98]

Sur le plan politique et scientifique, Verschuer avait su s’entourer d’une jeune équipe aussi dynamique que politiquement fiable, dont une partie le suivra fidèlement à Berlin en 1942 (lorsqu’il succèdera à E. Fischer à la tête de l’IKW d’Anthropologie) avant d’essaimer. Tous ceux qui avaient passé leur « habilitation » avec lui firent carrière. Il avait pris comme médecin-chef Ferdinand Claussen, un jeune spécialiste de médecine interne et de génétique médicale de 36 ans, membre du NSDAP (1933), de la SA (1933) et de la Ligue des médecins NS (1934). Les deux autres principaux collaborateurs étaient Heinrich Schade (28 ans) et Hans Grebe (25 ans), auxquels il ne faut pas oublier d’ajouter l’assistant plus tardif Josef Mengele qui arrive en 1937 à Francfort (27 ans, lorsqu’il eut terminé son deuxième doctorat).

Heinrich Schade s’était inscrit au NSDAP et dans la SA dès 1931 (où il devient Obersturmführer). Il adhère à d’autres organisations nazies, dont la Ligue des médecins nazis (NSDÄB). En 1934, Schade suit un cours de génétique humaine et d’anthropologie de 8 mois pour les médecins nazis, organisé à l’IKW d’Anthropologie de Berlin, par le Ministère de l’intérieur du Reich, le RuSHA-SS et l’OPR du NSDAP. Il collaborera ensuite avec l’OPR, devenant un « Rasseredner », un conférencier spécialisé sur le thème de la race, pour diverses organisations nazies comme le NSV, le NSBO ou la NSDÄB. Il participe en tant qu’expert à la stérilisation des « bâtards de Rhénanie ». Également en tant qu’expert médical, il estime en 1939 que la loi nazie de stérilisation de 1933 est trop timorée et regrette que « seulement quelques rares faibles d’esprit et alcooliques ont pu être soumis jusqu’ici à la stérilisation, alors qu’une politique d’entretien de l’hérédité axée sur l’élimination serait non seulement particulièrement nécessaire mais aussi couronnée de succès ».[99] En 1943, Schade, devenu depuis 1942 médecin-chef de l’IKW de Berlin, passe au RuSHA-SS.[100]

Grebe qui avait obtenu le Prix de l’université avec son doctorat sur la « fréquence des causes héréditaires et non héréditaires de la cécité » (sujet alors tout à fait d’actualité puisque les aveugles héréditaires étaient stérilisés). Il n’avait pas produit moins de 40 articles scientifiques entre 1937 et 1944, tout en étant politiquement assez actif puisqu’il avait également rejoint dès 1931, la Ligue des étudiants nazis, le Parti en 1933, puis la SA et la Ligue des médecins NS (NSDÄB). En 1942, Grebe remplace temporairement Verschuer qui vient de prendre la tête de l’IKW de Berlin puis le rejoint dès que Kranz arrive à Francfort pour succéder à Verschuer.[101]

Quant à l’assistant Dr. Dr. Mengele, il s’engagea dans la Waffen-SS, fut transféré au RuSHA-SS en Pologne, puis partit sur le front russe avec la division Viking, avant d’être blessé. Il revient à Berlin, travailler au service du chef des médecins SS Grawitz et en même temps à l’IKW d’Anthropologie, puis à partir de mai 1943 comme médecin de camp à Auschwitz-Birkenau pour préparer son habilitation universitaire. Parallèlement, il envoyait quantité de « matériaux humains » (échantillons de sang par centaines, yeux humains de jumeaux hétérochromes, squelettes avec des malformations, etc.) à son directeur Verschuer et à ses collègues chercheurs de l’IKW.[102]

Verschuer, comme il le disait, pouvait être fier de sa « jeune troupe, enthousiaste, ambitieuse et prête à en découdre », auxquels il souhaitait de devenir les « futurs Führer de la génétique [humaine] et de l’hygiène raciale ». Et, en effet, la galerie des jeunes chercheurs qui se sont habilitées chez lui montre avec quel succès Verschuer s’investit dans la formation des jeunes. Claussen partira en 1939 diriger l’Institut de Génétique et d’Hygiène raciale de Cologne, Schade le remplaça à son poste de médecin-chef à Francfort, puis deviendra médecin-chef de l’IKW de Berlin en 1942 ; et Grebe partit d’abord à Berlin avec Verschuer, avant d’être nommé professeur de biologie raciale et d’hygiène génétique et diriger (à 30 ans) l’Institut de Biologie raciale de Rostock en 1943. Quant à Mengele, sur lequel Verschuer avait placé beaucoup d’espoir et qu’il faisait inviter dans les congrès scientifiques internationaux, la fin de la guerre ne lui laissa pas le temps de réaliser ses ambitions académiques.

Après le départ de Verschuer et de la plus grande partie de son équipe en 1942, la direction de l’Institut de Francfort fut confiée à Heinrich Wilhelm Kranz. Kranz, surtout un « politique » n’ayant pas le calibre scientifique de Verschuer, l’institut perdit alors sa position scientifique de premier plan.

 

Deux autres universités mériteraient d’être signalées, mais ne peuvent l’être ici pour des raisons de place, car ce furent de véritables bastions de l’hygiène raciale nazie : Iéna et Giessen. Néanmoins, la demi-douzaine de cas présentées fournissent un bon exemple des façons très diverses dont l’hygiène raciale et la raciologie s’établirent dans les universités allemandes. Cela va de la plus parfaite continuité institutionnelle et pédagogique, comme l’Institut d’Anthropologie de Munich qui existait depuis 1886, aux candidats politiques comme Günther à Iéna ou Tirala à Munich, qui sont imposés de forces par les autorités politiques à des universités récalcitrantes, et création ex-nihilo de nouveaux instituts de « biologie raciale » ou « d’hygiène raciale ». Entre les deux, il y a des postes de professeurs extraordinaires qui se transforment en chaires, de modestes départements qui se muent en instituts, et toute cette masse de cours, dont certains existaient avant 1933, mais qui se multiplient comme des champignons sous l’averse avec l’arrivée des nazis au pouvoir.

Toutefois, comme le lecteur s’en sera déjà rendu compte, il est facile de se perdre dans le labyrinthe du jargon de l’époque. Aussi, il convient d’éclaircir quelques termes pour tenter de saisir le contenu des cours, les idées et les actes qui se cachaient derrière ces mots. À travers l’explication d’une terminologie aujourd’hui tombée en grande partie dans les oubliettes de l’histoire, comme une ville antique peut être engloutie sous le sable du désert, l’argument que je voudrais défende est que l’on n’a pas pris la mesure de l’importance de la classification et de la sélection dans le système nazi.

 

Sélectionner

Qu’y a-t-il de plus frappant dans les crimes nazis ? Ce n’est certainement pas le fait de tuer, même des populations entières. Ce qui distingue les crimes de masse du nazisme c’est sans doute l’aspect systématique, administratif, froid, le soin attentif, la technicité, parfois la scientificité, en un mot, la modernité avec lequel les gens ont été tués. Hormis les victimes (nombreuses) de la guerre, les victimes du nazisme ont été soigneusement sélectionnées, selon des catégories pré-établies, élaborées par des bureaucrates, avec l’aide de juristes, de médecins et d’experts scientifiques.[103] L’élimination était méticuleusement planifiée, avec tous les moyens dont dispose un État moderne associé à la grande industrie. La plupart des catégories visées par l’élimination relevaient d’un ordre biologique, qu’il soit racial, génétique ou médical. Je partage entièrement l’opinion de Benno-Müller-Hill selon laquelle ce qu’il y a de nouveau dans le nazisme, « c’est la science de la sélection (Auslese, Selektion) de minorités biologiquement définies et la technique de leur élimination (extermination) – par le gaz à Auschwitz et ailleurs ».[104]

L’omniprésence de la « sélection » est déjà très connue pour Auschwitz. La sélection y débutait « sur la rampe » dès l’arrivée des trains au camp. Les déportés alignés étaient très rapidement examinés par un médecin SS, en fonction de leur âge, de leur état de santé apparent et de leur aptitude à travailler. Le seul critère décisif, chez ces condamnés à mort en sursis, était celui de la productivité au travail. I.G. Farben, le gigantesque cartel chimique qui employait de la main d’œuvre esclave, se plaignait aux autorités SS du trop grand nombre de « femmes, d’enfants et de vieux Juifs ». Il payait à l’administration SS seulement 0,50 Reichsmark pour la journée de travail d’un enfant contre 3 RM pour un adulte non qualifié.[105] Un enfant ou un vieillard encore vivant à Auschwitz coûtait donc à l’administration SS et ne lui rapportait rien. Sur la rampe, les uns étaient envoyés à droite, les autres, à gauche. La gauche signifiait la mort immédiate dans à la chambre à gaz déguisée en salles de douche pour le nettoyage – mesure sanitaire face aux risques d’épidémies de typhus – des nouveaux arrivants.

Le gazage était alors une technique moderne de mise à mort, permettant des « rendements » industriels. Le gazage au Zyklon B dans des chambres à gaz avec un système de circulation d’air reprenait en l’adaptant à la fois le « know-how » de l’euthanasie des patients psychiatriques au monoxyde de carbone et la techniques d’éradication par gazage de la vermine, en particulier contre les poux porteurs du typhus, employés par l’armée allemande et les services d’hygiènes de la SS.[106] Le Zyklon B, stocké sous forme cristalline dans des boîtes en fer, s’avérait plus pratique à manier et à conserver que le monoxyde de carbone en bombonnes liquides utilisé pour l’euthanasie, ou les fumées d’échappement de moteurs diesels employés dans les premiers camps d’extermination comme Sobibor. De même, l’idée de brûler les corps dans des crématorium, afin d’éviter que de grande quantités de corps en décomposition deviennent une source de contamination potentielle, venait des médecins hygiénistes, comme Heinz Zeiss, détenteur de la chaire d’hygiène de l’Université de Berlin et le patron de Mrugowsky, le chef de l’hygiène au sein de la SS.[107] Le gazage, réalisé par des « désinfecteurs » patentés, était placée sous la supervision exclusive de médecins.

Les déportés qui n’étaient pas immédiatement gazés étaient conduits dans le camp où les « sélections » se poursuivaient. D’après un ordre du Dr. Lolling, médecin en chef des camps de concentration, datant de mai 1942, les détenus incapables de travailler devaient être éliminés. Les « sélections » en question, menées à l’intérieur du camp, étaient également opérées par des médecins. Cet ordre était à nouveau influencé par des considérations « sanitaires » : trop de détenus de façon générale et trop de détenus en mauvaise santé, tels les Muselmänner, en particulier, menaçaient d’épidémies l’ensemble du camp et son personnel surveillant. Les « sélections » à l’intérieur du camp participaient ainsi à  « l’ordre sanitaire » du camp. S’y ajoutaient encore les « sélections dans les blocs médicaux » destinées à soulager les baraques infirmeries surpeuplées des malades trop lourds ou peu susceptibles d’être rapidement remis sur pieds.[108]

Tout ceci est largement connu. Mais la « sélection » n’est pas une invention des médecins d’Auschwitz. L’argument que je veux défendre c’est que le cœur, l’essence, la spécificité du nazisme par rapport à d’autres régimes politiques, comme le fascisme italien, le stalinisme soviétique ou le communisme chinois, tient dans cette « science de la sélection ». Cette importance de la « sélection » dans le « monde de pensée » (Denkkosmos), le système politique, l’organisation sociale, la médicalisation de la violence et les exterminations du nazisme, n’a peut-être pas été suffisamment prise en compte. D’où la nécessité d’explorer un peu cette citée engloutie de la terminologie nazie, et ce qui se cache derrière, concernant cette « science de la sélection ».

 

Questions de définition

On constate en effet les ressources terminologiques inépuisables de la langue allemande en matière de « science de la race », de « génétique humaine », d’« eugénisme » ou d’« hygiène de la race ». En français, il n’existe aujourd’hui qu’un seul terme pour désigner la partie de la biologie dédiée à l’étude des phénomènes d’hérédité : la « génétique ». Le mot français vient de «genetics» (la génétique, substantif) forgé par le biologiste mendélien anglais William Bateson en 1906. En Allemagne, le Fremdwort (mot étranger importé dans la langue allemande) « Genetik » n’est généralement pas employé avant 1914 et ne s’imposera vraiment qu’après la Deuxième Guerre mondiale.[109] Au début du XXe , on parlait entre autres de « Bastardlehre » (« étude de l’hybridation » pour la génétique mendélienne), « Erblehre », « Vererbungslehre », « Erblichkeitslehre », « Erbkunde » («étude de l’hérédité» ou «science de l’hérédité»), « Rassenbiologie » (« biologie raciale »), « Erbbiologie » (biologie de l’hérédité), etc.[110] Le terme « génétique humaine » n’existe pas davantage. On parle d’abord de « Familienkunde » (« étude des familles ») ou de « Genealogie », puis de « menschliche Erblehre », « menschliche Erblichkeitslehre » ou « Erbbiologie des Menschen » et de ses sous-branches « Erbpathologie » (« étude des pathologies héréditaires » correspondant à ce que l’on appelerait aujourd’hui « génétique médicale »), « Erbpsychiatrie » (psychiatrie génétique), « Erbpsychologie » (psychologie génétique, correspondant à ce que l’on appelle behavioral genetics aujourd’hui aux États-Unis), « Kriminalbiologie » (criminologie d’orientation biologique que l’on pourrait traduire par « criminobiologie »), « Erbstatistik » (statistiques génétiques), « Erbmathematik » (mathématiques de l’hérédité), etc. La multiplicité des termes se retrouve pour l’eugénisme : « Eugenik », « Rassenhygiene » (hygiène raciale), « Erbgesundheitslehre » (théorie de la santé héréditaire), « Erbpflege » (entretien de l’hérédité), « Vererbungshygiene ») et pour l’anthropologie physique ou raciale : « Anthropologie », « Rassenkunde » (science de la race), « Rassenforschung » (recherches sur les races), « Rassenbiologie » (biologie raciale), « Rassenphysiologie » (physiologie raciale).

Cette profusion terminologique pour décrire toutes ces disciplines aujourd’hui pour la plupart oubliées, leur ressemblance – lorsqu’elles contiennent le radical « Rasse » (Rassenhygiene, Rassenkunde, Rassenbiologie, Rassenforschung, etc.) – et leur apparente interchangeabilité provoque de nombreuses confusions. L’historien Michael Kater – et il n’est pas le seul – confond ainsi « anthropologie raciale » (Rassenkunde) et « eugénisme » (Rassenhygiene), qui certes se recouvraient en partie et s’unissaient dans les disciplines communes de la « biologie raciale » (Rassenbiologie) et de la génétique humaine (« menschliche Erblichkeitslehre »), mais constituaient malgré tout deux branches bien indépendantes et parfois en conflit institutionnel (pour avoir des chaires). Les médecins et universitaires de l’époque n’étaient eux-mêmes pas toujours très rigoureux dans l’emploi de tous ces termes. Il s’agissait plutôt de deux ou trois champs de recherche avec de fortes zones de recoupement que de disciplines bien distinctes aux frontières bien établies. On a ainsi un premier champ correspondant à l’eugénisme / hygiène raciale. Lui-même se subdivise en un versant médical (avec la génétique médicale Erbpathologie et la Erbpsychiatrie), un versant psychologique (Erbpsychologie : l’hérédité des aptitudes, du caractère), et une version démographique et statistique (l’évolution qualitative de la population, de la natalité, les conséquences des phénomènes sélectifs sur la fréquence des gènes). Un deuxième champ, tourné vers l’étude les races humaines, très lié à l’anthropologie physique, l’anatomie et la craniologie du 19e siècle, mais aussi associé à la physiologie, la sérologie, l’immunologie, l’étude des groupes sanguins et l’étude génétique des caractères raciaux, correspond plus ou moins à la raciologie dans sa version biologique (Rassenbiologie). Il y a aussi une « raciologie » plus « psychologique », « culturelle », « philosophique », « historique » ou archéologique pratiquée par des Geisteswissenschaftler (adeptes des sciences humaines, de la littérature, philosophie, etc.). Et un troisième champ, la Kriminalbiologie (crimino-biologie), renvoyant à la criminologie d’orientation médicale, biologisante et eugéniste, généralement pratiquée par des médecins légistes et des psychiatres, tente de s’organiser dans une discipline ; cependant son institutionnalisation reste inachevée (elle dispose d’une société scientifique et d’une revue mais d’aucune chaire universitaire). Les trois champs se recoupent en partie. Néanmoins il ne s’agit pas de la même chose : l’anthropologie raciale et l’eugénisme, en particulier, relèvent de deux traditions intellectuelles et de deux logiques distinctes : dans un cas il s’agit de classer l’humanité en « races » en fonction de la morphologie, de la couleur de la peau, de la forme des crânes ou d’autres caractéristiques biologiques, selon un projet classificatoire de « l’histoire naturelle de l’homme » qui remonte au XVIIe siècle; dans l’autre, se profile le projet plutôt utopiste et thérapeutique de perfectionnement biologique de l’humanité ou de la collectivité nationale. Il y encore une autre façon de classer toutes ces activités, comme cela se faisait sous le IIIe Reich, avec la recherche théorique, d’une part, et l’application pratique, d’autre part : la génétique (Erblehre, Erbbiologie) humaine et la raciologie (Rassenkunde) correspondent ici, dans le champ de la recherche, à « l’entretien de l’hérédité » (Erbpflege) et « l’entretien de la race » (Rassenpflege), dans le champ politique.

 

Qu’est-ce que l’eugénisme et l’hygiène raciale?

« Hygiène raciale » (Rassenhygiene) et « eugénisme » (Eugenik) étaient plus ou moins considérés comme synonymes en Allemagne. Cependant très rapidement, des eugénistes comme Wilhelm Schallmayer, l’un des deux théoriciens fondateurs du mouvement eugéniste en Allemagne, et adversaires des théories raciales aryanistes à la Gobineau, s’opposèrent au terme « hygiène raciale » qui risquait de prêter à confusion.[111] Ils lui préféraient le terme plus neutre d’Eugenik. Ils ne voulaient pas que l’eugénisme de type médical et sociobiologique soit confondu avec les idées fumeuses des « fanatiques de la race » antisémites ou amoureux des dolichocéphales blonds qu’ils dénonçaient. Alfred Grotjahn, un eugéniste, professeur d’hygiène sociale à Berlin, et membre du SPD (Parti Social-démocrate) sous Weimar, cherchait, pour bannir toute connotation raciste pouvant être véhiculé par le mot Rassenhygiene, à encourager l’usage du terme « hygiène de la reproduction » (Fortpflanzungshygiene).[112] D’autres encore préféraient le terme de « Erbgesundheitslehre » (théorie de la santé héréditaire).

Selon Francis Galton – le cousin de Darwin – qui avait forgé le terme eugenics en 1883, l’eugénisme se définissait comme étant l’étude scientifique de toutes les influences tendant à améliorer les qualités héréditaires d’une « race » pour lui permettre d’atteindre un niveau supérieur.[113] En somme, il s’agissait d’appliquer à l’homme ce que les éleveurs et cultivateurs, puis les agronomes et généticiens, faisaient sur les races animales ou sur les plantes : la sélection, choisir les meilleurs spécimens, les faire se reproduire et écarter les moins bons de la reproduction. Ainsi que le disait déjà, dans la France des Lumières, Vandermonde, le fondateur du Journal de médecine, dans son Essai sur la manière de perfectionner l’espèce humaine (1756) :

« Puisque l’on est parvenu à perfectionner la race des chevaux, des chiens, des chats, des poules, des pigeons, des serins, pourquoi ne ferait-on aucune tentative sur l’espèce humaine ? »[114]

L’essence de l’eugénisme tient dans ce projet d’améliorer biologiquement l’espèce humaine, comme l’on a amélioré les races de chiens et de chevaux. La technique pour mettre en œuvre le projet peut varier selon les époques. Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, ce perfectionnement biologique passait par la sélection des individus reproducteurs, des accouplements choisis, ou par sélection du « matériel héréditaire ». Sélectionner les individus reproducteurs signifie que certains individus vont être encouragés à se reproduire beaucoup tandis que d’autres vont être interdits de mariage ou stérilisés. L’Allemagne nazie dispose ainsi de toute une panoplie de lois, de décrets, de circulaires, et mesures destinées à contrôler « qualitativement » la reproduction. La loi de stérilisation du 14 juillet 1933 n’en est qu’un aspect et il y en a bien d’autres, dont la « Loi sur la santé du mariage » du 18 octobre 1935 avec certificat de santé prénuptial délivrés par les experts médicaux des Offices de Santé locaux et interdiction de mariage pour les individus non conformes. Le certificat de santé prénuptial permet en outre d’accéder à tous les avantages sociaux et fiscaux (dont le « Prêt au mariage » du 1er juin 1933 qui se transforme en cadeau à la naissance de chaque enfant; une fiscalité pro-nataliste pour les familles ayant des enfants ; et les allocations familiales – toutes mesures dont sont exclus les « malades héréditaires », «asociaux», Juifs, « Tziganes » et autres « étrangers raciaux »).

Sélectionner le « matériel héréditaire » implique que l’on va dissocier totalement la reproduction de la sexualité. La sexualité peut rester libre à condition de ne pas engendrer, en revanche la procréation va se faire par la fécondation artificielle d’ovules et de sperme de femmes et d’hommes jugés « supérieurs » (par exemple du sperme de lauréats du Prix Nobel – un projet lancé par le généticien américain marxiste et Prix Nobel de médecine H. J. Muller), ensuite les œufs résultant de cette fécondation peuvent être implantés dans n’importe quelle femme, voire, développés dans des machines spéciales, hors du corps de la femme, par « ectogénèse », comme dans l’utopie du généticien anglais J. B. S. Haldane reprise dans Le meilleurs des mondes d’Aldous Huxley.[115] Enfin, le rêve, exprimé en 1895 par l’eugéniste allemand Ploetz, d’agir directement sur le matériel héréditaire, avant la fécondation, pour corriger des défauts (appelée aujourd’hui « thérapie génique germinale ») ou introduire certaines qualités par manipulation directe du programme génétique, se profile de plus en plus comme une réalité possible sur le plan scientifique. Depuis la première manipulation génétique réussie il y a plus de trente ans, en 1972, toutes sortes de plantes et d’animaux ont été génétiquement modifiés. Aujourd’hui des millions d’exemplaires d’animaux génétiquement modifiés sont produits chaque année dans le monde par les laboratoires, et rien – sinon l’éthique et la législation – n’empêcherait de faire la même chose sur l’homme.

Enfin, il y a toute la question de la sélection des embryons. Plusieurs pays, dont l’Allemagne nazie[116] et plus récemment la Chine communiste[117], ont introduit des mesures imposant l’avortement obligatoire d’embryons de femmes « inférieures » ou porteuses de « maladies héréditaires » et dont la reproduction est jugée indésirable ou – grâce aux techniques de dépistage prénatal apparues après le nazisme (échographie, etc.) – d’embryons chez lesquels on a détecté des malformations ou autres anomalies. Cette dimension coercitive porte sans ambiguïté la marque de l’eugénisme. En revanche, la question de savoir si l’avortement sélectif volontaire des embryons porteurs de maladies génétiques, d’anomalies chromosomiques ou de malformations congénitales, comme cela se fait à plus ou moins grande échelle dans les pays les plus industrialisés, est ou non de l’eugénisme reste débattu – le mot étant devenu tabou. Certain arguent que les parents décident librement dans le cadre d’une politique plus large de libéralisation de l’avortement, qu’il n’y a pas de contrainte de la part de l’État et donc pas d’eugénisme. Leurs adversaires affirment que d’autres formes de contraintes, non étatiques, peuvent se manifester, de type pression sociales (la norme de l’enfant parfait) ou pression économique (comme aux Etats-Unis où le système d’assurance maladie privé peut exercer de fortes discriminations économiques sur les familles où naissent de tels enfants et donc influencer le choix des parents). Enfin d’autres encore, soulignent que l’essence de l’eugénisme ne réside pas dans la contrainte étatique mais dans la sélection elle-même. Ce n’est pas le lieu pour approfondir ce débat. Toujours est-il que dans le cas de la période 1900-1945, il n’y a aucune ambiguïté possible puisque les acteurs concernés se revendiquaient explicitement de l’eugénisme.

Et cet eugénisme était à la fois un mouvement social (limité à un groupe social restreint et diplômé, rassemblant surtout des universitaires, des médecins et des fonctionnaires) et un mouvement d’idées, une pratique sociale de sélection des gens (dans le cadre d’une politique sociale et sanitaire, éventuellement encadrée par des législations) et un champ de recherche scientifique. Selon Alfred Ploetz, médecin et fondateur du mouvement eugéniste en Allemagne :

« L’hygiène raciale en tant que science est l’étude des conditions de la conservation et du perfectionnement optimal de la race humaine. En tant que praxis [ou technique], elle correspond à l’ensemble des mesures découlant de cette étude scientifique et dont l’objet vise à la conservation et au perfectionnement optimal de la race … ».[118]

Quant à la dimension « biopolitique » (pour reprendre le terme de Foucault) de l’eugénisme, elle nécessitait une éducation de la population à un nouveau comportement reproductif et donc impliquait toute une dimension de vulgarisation, de campagnes d’information et de propagande. Ce que l’on perçoit aujourd’hui comme « propagande eugéniste » correspond en fait à ce que l’on qualifierait de « campagne d’information et d’éducation de la population » dans un autre domaine (comme les campagnes pour la prévention des maladies sexuellement transmissibles, de l’alcoolisme ou de la tuberculose dans les années 1900-1940).

L’eugénisme se veut donc à la fois une science – un domaine de recherche – et une technique ou politique de gestion qualitative de la population. La science de l’eugénisme portait sur des questions de génétique fondamentale, de génétique humaine, de biologie darwinienne, de démographie, de médecine, de sociologie et de psychologie. Il n’est pas exagéré de dire que des secteurs entiers de la recherche scientifique ont été mis au point, stimulés ou développés par des scientifiques en bonne partie motivés par des préoccupations eugénistes et que nous trouverions donc idéologiquement intéressés. Ceci a débuté avec la biométrie – cette science de mesure du biologique et en particulier des phénomènes d’hérédité – mise au point par le fondateur de l’eugénisme Francis Galton, puis ses disciples Pearson et Weldon en Angleterre. C’est ainsi Galton qui a élaboré des outils statistiques aussi importants pour les statisticiens que le coefficient de régression et le coefficient de corrélation.[119] C’est aussi Galton qui a voulu mesurer l’intelligence comme on mesurait la taille des gens et qui a lancé l’idée de la « méthode des jumeaux ». Cette dimension « recherche scientifique », bien que moins visible, est tout aussi importante. L’eugénisme était une « science de la sélection humaine», ce qui impliquait de savoir précisément et « scientifiquement » quoi et qui sélectionner.

Cette motivation eugénique explique la floraison en Allemagne de toute une série de disciplines scientifiques dans les années 1910-1945, dont certaines pourraient paraître scientifiquement respectables et politiquement anodines, sorties de ce contexte. Mais il faut garder à l’esprit qu’elles se sont développées dans ce contexte et en grande partie grâce à ce contexte. La société nazie, par son système de valeurs et sa pratique politique, a favorisé le développement de toutes les sciences permettant une sélection biologique des hommes.

 

Erbpathologie (génétique médicale) et Erbpsychiatrie (psychiatrie génétique) : des disciplines innocentes ?

Prenons ce qui s’appelait à l’époque « Erbpathologie » (étude des pathologies héréditaires) et que l’on appellerait aujourd’hui « génétique médicale ». Il s’agissait du champ de la génétique humaine qui s’occupait des maladies et anomalies héréditaires. Les pionniers de ces recherches, en Allemagne (et pas seulement en Allemagne) étaient tous eugénistes. Parmi les plus célèbres, citons Fritz Lenz, Wilhelm Weitz, Otmar von Verschuer et Ernst Rüdin.

Fritz Lenz (1887-1976) avait étudié la médecine et la génétique à une époque où ce nouveau champ de recherche était en train d’éclore. En 1909, il avait rencontré Alfred Ploetz, l’organisateur du mouvement eugéniste en Allemagne, et avait fait de l’eugénisme sa vocation et la mission de sa vie. En 1912, il passe son doctorat de médecine avec une thèse pionnière Sur les dispositions pathologiques héréditaires chez l’homme et la détermination du sexe dans l’espèce humaine. Déjà, il y affirme que « la seule possibilité d’éliminer les maladies héréditaires réside dans la sélection négative des lignées concernées ».[120] Il part ensuite travailler comme assistant à l’Institut d’Hygiène de Munich, dirigé par Max von Gruber. Il rejoint dans la capitale bavaroise les rangs de la « Société d’Hygiène raciale de Munich », fondée en 1907 par Ploetz avec l’hygiéniste Gruber et le psychiatre Rüdin. Lenz a aussi étudié la philosophie et il a une vision et un style d’écriture souvent plus percutants que ceux des autres scientifiques. Il est notamment conscient de la dimension forcément politique de l’eugénisme. La politique, consistant à diriger la vie collective, « alors il n’y a pas de frontière bien établie entre l’hygiène raciale et la politique. L’hygiène raciale, en tant que pratique, doit justement essayer de modeler la vie collective selon les principes hygiénistes raciaux ».[121] Fritz Lenz, lui-même, s’engage politiquement. C’est un nationaliste völkisch convaincu, qui collabore entre autres à la revue pangermanistes Deutschlands Erneuerung (« Renouveau de l’Allemagne ») fondée en 1917, pendant la 1ère Guerre mondiale et, sous Weimar adhérera au parti de la droite nationaliste DNVP. En 1919, Lenz passe son habilitation (à enseigner en université) à Munich sur un sujet de génétique « Expériences sur l’hérédité et la dégénérescence chez le papillon ». Deux ans plus tard, il publie avec le généticien Erwin Baur et l’anthropologue Eugen Fischer la 1ère édition du fameux manuel Principes de génétique humaine et d’hygiène raciale (1921).[122] Le manuel, vite connu sous le nom de « Baur-Fischer-Lenz », réédité et étoffé plusieurs fois, connaîtra un grand succès auprès des étudiants en médecine. Il sera aussi traduit en suédois (1925) et en anglais (1931). Il s’agit du premier manuel universitaire de génétique humaine publié en Allemagne.[123] L’édition de 1936, donc publiée sous le nazisme, est toujours citée comme « référence » majeure par le généticien juif émigré aux États-Unis Curt Stern dans ses Principles of Human Genetics (1950). Quant à la 1ère édition ou la 2e édition, elle a été lue et a inspiré Hitler au moment où il rédigeait Mein Kampf en prison après son coup d’État raté.

Le volume 1 porte pour titre Menschliche Erblichkeitslehre (« Étude de l’hérédité humaine »). Il comprend notamment une section sur « Les différences raciales chez l’homme » rédigée par Eugen Fischer, un chapitre sur « Les différences mentales des grandes races » rédigé par Lenz, et une importante section sur les maladies et anomalies héréditaires également par Lenz. Il y était aussi clairement question de sélectionner les hommes. Le second volume, rédigé par Fritz Lenz seul, s’intitulait précisément Sélection humaine et hygiène raciale.[124] Il y analyse les différents phénomènes de « sélection chez l’homme », aussi bien les « sélections biologiques » (par diverses maladies, etc.) que les « sélections sociales » (différences de taux de natalité selon les « races » et les « classes sociales », etc.). Il y expose aussi tous les moyens dont dispose l’hygiène raciale pour réorienter la sélection dans un sens favorable aux éléments héréditairement et racialement « supérieurs » de la société (conseil au mariage et interdictions de mariage, stérilisation, politique nataliste qualitative, etc.). Lenz qui a fait de la philosophie note avec clairvoyance que l’hygiène raciale a produit une métamorphose des valeurs dans la « vision du monde » (Weltanschauung) politique et dans la médecine. En faisant de la « race » un organisme vital d’un rang supérieur à l’individu, l’hygiène raciale a favorisé le glissement des valeurs de l’individu vers la race, du milieu vers la « masse héréditaire » (Erbmasse). Elle a contribué au déclin de l’individualisme, ce qui la rapproche du national-socialisme sur le plan politique.[125]

Dès 1931, Lenz, sans être membre du Parti nazi fait l’éloge de Hitler. Même s’il « hoche la tête » au sujet des tirades antisémites du futur chancelier, il vante le fait que ce dernier mette la « race » au premier plan de sa vision politique. Il sera récompensé en étant promu en 1933 professeur ordinaire (titulaire) d’hygiène raciale à l’Université de Berlin et surtout directeur du Département d’eugénisme de l’Institut Kaiser Wilhelm d’Anthropologie, en remplacement du jésuite Muckermann, eugéniste catholique révoqué de son poste par les nazis. En 1933, il célèbre les mérites du nouveau régime dans le journal Klinische Wochenschrift (« La clinique hebdomadaire ») :

« Les blocages que les idées de l’hygiène raciale rencontrait encore il y a peu dans la profession médicale n’existent plus aujourd’hui. […] le noyau allemand de la profession médicale a fait siennes les recommandations de l’hygiène raciale allemande. Précisément sur cette question, la profession médicale a joué un rôle prédominant ».

Et Lenz citait le « Führer des médecins du Reich » Gerhard Wagner (le chef de la Ligue des médecins nationaux-socialistes) selon lequel :

« Les connaissances de l’hygiène raciale et de la génétique ont été obtenues sur un plan strictement scientifique et grâce au rôle remarquable des médecins. Elles ont fortement influencé les conceptions de la volonté politique et incarnent véritablement les fondements de la raison d’État actuelle ».[126]

En 1938, Lenz adhère au Parti nazi. Il enseignera l’hygiène raciale à l’Université de Berlin jusqu’en 1944. Parmi ses étudiants en doctorat, certains, deviendront médecins SS dans des camps de concentration. Lorsqu’il comprend que l’Allemagne a perdu la guerre et que tous ses rêves s’écroulent, il tombe dans une dépression nerveuse. Cela ne l’empêchera pas de retrouver une chaire de « génétique humaine » en 1946 à l’Université de Göttingen.

Otmar von Verschuer (1896-1969), le plus éminent représentant en Allemagne de la « méthode des jumeaux » et de la génétique médicale, est d’une dizaine d’années le cadet de Lenz. C’est par Lenz qu’il découvre l’hygiène raciale et sera mis en relation avec Wilhem Weitz, qui l’introduira à la méthode des jumeaux. Dans sa jeunesse étudiante, Otmar von Verschuer, fils d’un officier militaire de la petite noblesse, lit les théories raciales de Gobineau et H. St. Chamberlain. Pendant ses études de médecine à Marburg, il rejoint un Corps-franc d’étudiants militarisés, nationalistes, antisémites (il fallait quatre grands-parents « aryens » pour pouvoir y adhérer) et anticommunistes. Lorsqu’il est étudiant à Munich, il rejoint la Société Thulé, un club secret völkisch et raciste qui utilise déjà la svastika comme symbole. C’est là qu’il rencontre Lenz qui animait une soirée autour du roman Le péché contre le sang de Dinter.[127] En 1923, Verschuer passe son doctorat de médecine avec une thèse « Études physico-chimiques sur le contenu protéinique du sang ». Plus tard, entre 1942 et 1945, avec le Dr. Mengele à Auschwitz et un collaborateur de l’Institut Kaiser Wilhelm de Biochimie (institut dirigé par Adolf Butenandt, lauréat du Prix Nobel pour ses travaux sur les hormones sexuelles et membre du Parti nazi), Verschuer renouera avec cet intérêt de jeunesse pour le sang en tentant de mettre au point une technique d’identification raciale ou en paternité par un test sanguin.

Grâce à Lenz, Verschuer entre en contact avec Wilhelm Weitz, spécialiste de médecine interne, pionnier de la méthode des jumeaux dans le champ médical en Allemagne et directeur de la polyclinique de Tübingen, où Verschuer obtient un poste de 1923 à 1927.[128] En 1927, Verschuer passe son habilitation avec une thèse sur La recherche génétique sur les jumeaux. La même année, Eugen Fischer lui offre le poste de directeur du Département de Génétique humaine à l’IKW d’Anthropologie, de Génétique humaine et d’Eugénisme. Verschuer en fera probablement le plus gros centre de recherche sur les jumeaux dans le monde, avec un fichier de plusieurs milliers de jumeaux. Des scientifiques viennent du monde entier pour s’y former à la méthode des jumeaux. Contrairement aux spécialistes de la méthode des jumeaux Américains qui s’intéressent surtout aux jumeaux identiques pour établir le caractère héréditaire de la psychologie et de l’intelligence, Verschuer compare les jumeaux monozygotes et dizygotes pour les pathologies et anomalies du domaine médical et les caractères raciaux des anthropologues. De 1935 à 1942, Verschuer part à l’Université de Francfort diriger un nouveau et très gros Institut de Génétique et d’Hygiène raciale. Un de ses assistants favoris y est le Dr. Josef Mengele, un jeune scientifique prometteur et membre de la SS qui l’approvisionnera ensuite en « matériaux humains » depuis Auschwitz quand, de 1942 à 1945, Verschuer deviendra le directeur de l’ensemble de l’IKW d’Anthropologie, de génétique humaine et d’eugénisme. Verschuer ne rejoindra que très tardivement le Parti nazi, en 1941, mais su donner au régime nazi tous les gages de sa fiabilité politique.

Verschuer devint sans aucun doute le plus influents des spécialistes de la génétique médicale (Erbpathologie) sous le nazisme. Outre ses postes de directeur du Département de génétique humaine à l’IKW d’Anthropologie, puis directeur de l’Institut Génétique et d’Hygiène raciale de Francfort, puis directeur de l’ensemble de l’IKW d’Anthropologie, il doit son influence avant tout à l’importance de sa production scientifique et de celle de ses étudiants, assistants et collaborateurs, dont plusieurs deviendront à leur tour, sous le nazisme, directeurs d’instituts de génétique et d’hygiène raciale (Ferdinand Claussen à Cologne, Hans Grebe à Rostock, à un moindre degré Wolfgang Lehmann à Strasbourg). Sous Weimar, c’était un « antisémite intelligent » qui, contrairement à d’autres plus bornés, n’hésitait pas à collaborer avec des scientifiques juifs (comme le sérologiste Fritz Schiff). Parmi ses apports scientifiques en génétique humaine, il démontre en 1938 avec un de ses collaborateurs le premier phénomène de « crossing over » chez l’homme. Il a aussi une grande influence auprès des étudiants en médecine grâce à deux de ses manuels universitaires Etude des pathologies génétiques. Un manuel pour médecins (1ère éd. 1934; 2e éd. 1937) et Précis d’hygiène raciale (1ère éd. 1941 ; 2e éd. 1944)[129], d’autant plus lus qu’ils sont beaucoup plus concis et synthétiques que les manuels concurrents comme le Baur-Fischer-Lenz ou le gigantesque Manuel de la Génétique de l’Homme[130] en une demi-douzaine de volumes sous la direction de Günter Just. Enfin, un autre canal d’influence très important que saura se constituer Verschuer lui sera donné par les deux revues dont il assume la direction ou co-direction sous le IIIe Reich : Le Médecin de l’Hérédité (Der Erbarzt) et Progrès de la Génétique médicale, de l’Hygiène raciale et des domaines apparentés.[131] La seconde revue qu’il co-édite avec le psychiatre membre de la SS J. Schottsky, fait en permanence le point sur les derniers progrès de la discipline, offre des synthèses réalisées par les experts des domaines concernés, signale systématiquement toutes les nouvelles parutions, et sait donc se rendre indispensable auprès des spécialistes. La première revue, Der Erbarzt, à l’inverse, bénéficie d’une diffusion énorme pour une revue scientifique du fait qu’elle est d’abord lancée en 1934 comme supplément mensuel au journal hebdomadaire officiel de la profession médicale Deutsche Ärzteblatt reçu automatiquement par tous les médecins allemands. Elle double immédiatement en termes de diffusion la revue eugéniste plus traditionnelle, fondée en 1904 par Ploetz, et organe de la Société Allemande d’Hygiène raciale Archiv für Rassen- und Gesselschaftsbiologie (« Archives de biologie raciale et de sociobiologie »). Avec l’autre « Revue de génétique humaine et de théorie de la constitution » (Zeitschrift für menschliche Vererbungs- und Konstitutionslehre) également plus ancienne (fondée en Autriche par l’anatomiste juif et eugéniste Julius Tandler en 1914), l’Allemagne dispose sous le nazisme de quatre revues dédiées à la génétique médicale, la génétique humaine et l’eugénisme. À la même époque, en France, il n’existe pas une seule revue de génétique médicale.

Comme le soulignait le Dr. Gütt, le responsable de la santé dans le gouvernement nazi, le journal Der Erbarzt dirigé par Verschuer devait former un lien entre les autorités sanitaires de l’État nazi, les experts siégeant dans les Tribunaux de Santé Héréditaire et l’ensemble du corps médical. Il offrait un medium de communication entre la recherche scientifique et les médecins en activité. Il devait permettre d’exploiter scientifiquement les nouvelles possibilités de recherches offertes par les innombrables cas examinés par les Offices de Santé et les Tribunaux de Santé Héréditaire et faire circuler le savoir auprès de l’ensemble des médecins allemands. Der Erbarzt devait informer les médecins sur toutes les recherches génétiques et raciologiques pertinentes pour leur action, sur la législation en matière d’hygiène raciale, l’activité d’expertise des « médecins de l’hérédité », et devait servir d’outil de formation continue en matière de génétique médicale et d’hygiène raciale.

Le titre du journal – « Le médecin de l’hérédité » – était déjà tout un programme. Et Verschuer se montrait tout à fait clair sur les objectifs du journal dans l’introduction au premier numéro en 1934:

« La révolution dans la conception du monde qui a eu lieu en 1933 a aussi montré une nouvelle voie et un nouvel objectif au corps médical. Il est devenu clair que l’individualisme, comme fondement de l’acte médical, était une fausse voie. Le patient n’est plus un individu isolé avec uniquement les exigences liées à sa propre personne. Il est bien davantage un membre d’une unité qui lui est supérieure, il est membre de sa famille, de sa race et son peuple. Les exigences de l’homme isolé se voient imposer des limites, lesquelles dépendent des devoirs par rapport au tout. La nouvelle communauté du peuple (Volksgemeinschaft) se bâtit sur ce principe du national-socialisme. Y contribuer est la mission toute particulière du médecin.

Hérédité, Race, Sélection […]. Il ne s’agit plus de la vie d’individus isolés, mais de la vie de l’ensemble du corps ethnique (Volkskörper). La mission du médecin ne se limite pas à la santé publique, celle-ci sera complétée par l’entretien de la santé héréditaire. Et la politique démographique ne se limite pas à la conservation de la quantité de citoyens ; le soin apporté à la qualité n’est pas moins important, c’est-à-dire à la conservation de l’aptitude héréditaire et de la spécificité raciale de notre peuple. La mission élargie du médecin réside dans le soin apporté au corps ethnique, par l’entretien de l’hérédité et l’entretien de la race.

Le mobile de base de l’action médicale ne peut plus être exclusivement : au service de l’individu, il doit aussi être : au service du peuple (Volk*). Le médecin de l’individu de l’époque passée va être remplacé par le médecin de l’hérédité. Le médecin de l’hérédité n’est pas le représentant d’une nouvelle spécialité médicale, mais un nouveau type de médecin ; il ne correspond pas non plus à l’ancien médecin de famille, mais il incarne quelque chose de totalement nouveau ».[132]

Pour assainir et réorienter le « flux héréditaire » (Erbstrom), il fallait d’abord « apprendre à distinguer entre celui qui est héréditairement sain et celui qui est héréditairement malade ». Classer, telle était la mission première du « médecin de l’hérédité ». Ensuite, il fallait sélectionner. La ségrégation, l’interdiction de mariage ou le coup de bistouri appliqués à l’individu héréditairement malade permettait de soigner « le corps ethnique » ou « la race ». Verschuer reconnaissait franchement dans les Archives de Chirurgie clinique que : « La stérilisation se distingue de toutes les autres interventions chirurgicales par le fait qu’elle n’apporte aucun succès thérapeutique et ne présente aucun avantage personnel pour la personne concernée ».[133] La Erbpathologie ne fournissait en règle générale aucune thérapie pour les individus dépistés sinon une stérilisation eugénique pour éviter qu’ils ne passent leur hérédité pathogène à la postérité. En somme, la Erbpathologie ne servait à rien sur le plan thérapeutique sinon à classer, à identifier les personnes porteuses de maladies génétiques susceptibles d’être soumises aux mesures de sélection eugéniste. Sa fonction médicale se résumait ainsi à diagnostiquer les cas susceptibles d’être stérilisés ou privés d’un certain nombre de droits (de se marier, de recevoir des allocations familiales, etc.).

On a ainsi une discipline médicale qui croît de façon formidable en Allemagne – multiplication des revues scientifiques, multiplication des postes universitaires, très fort accroissement des crédits de recherche – exclusivement du fait du contexte eugéniste (et non pour des débouchés thérapeutiques individuels). En 1921, la section « Erbpathologie » du manuel de génétique humaine et d’hygiène raciale Baur-Fischer-Lenz comprenait moins de 100 pages ; vingt ans plus tard, dans la 5e édition, en 1940, la même section devient un volume à lui tout seul de plus de 500 pages. Fritz Lenz y rédige les chapitres sur les maladies héréditaires des yeux, des oreilles et de la peau et l’hérédité du cancer ; Verschuer traite des « anomalies dans la forme du corps » et des facteurs héréditaires dans la susceptibilité aux maladies infectieuses; Wilhelm Weitz, de la transmission héréditaire des maladies internes et des maladies neurologiques génétiques ; et le psychiatre Johannes Lange, des maladies mentales héréditaires  et des psychopathies.[134] La multiplication par cinq du nombre de pages reflète selon les spécialistes de l’époque le formidable accroissement du savoir dans les années 1920-1930.

Ce savoir n’était pas neutre. Il servait principalement à sélectionner les gens. Comme le disait très clairement Otmar von Verschuer, alors directeur de l’Institut de Génétique et d’Hygiène raciale de l’Université de Francfort : « Le diagnostic héréditaire, c’est-à-dire la détermination du caractère héréditaire d’une maladie, est la condition préalable à la mise en pratique de notre politique actuelle d’entretien de la santé héréditaire ».[135] Dans le cas des malformations congénitales, les spécialistes devaient d’abord déterminer lesquelles étaient d’origine génétique et quel était leur mode de transmission (dominant, récessif, lié au sexe, poly-factoriel, etc.). Dans les années 1930, ils avaient déjà établi toute une liste de malformations du système osseux ou d’anomalies de croissance héréditaires. Parmi les nains, la transmission de la chondrodystrophie se révélait le plus souvent dominante simple, alors que celle du nanisme de Hanhart était récessive simple. Néanmoins, une fois le caractère de l’anomalie établi, l’expert médical disposait encore d’une marge de manœuvre assez large. Toutes les malformations physiques n’étaient pas considérées comme suffisamment graves et handicapantes pour justifier une stérilisation. Un simple bec-de-lièvre de type héréditaire (sujet de la 2e thèse de doctorat du Dr. Mengele), par exemple, empêchait probablement de se faire recruter dans la SS, mais ne suffisait pas pour stériliser un citoyen allemand respectable. Aussi Otmar von Verschuer suggérait que, dans sa décision, le « médecin de l’hérédité » prenne en compte l’ensemble des dispositions héréditaires de la personne. Fallait-il vraiment priver le pays de la descendance d’un homme supérieurement doué mais affecté d’une malformation corporelle héréditaire ? « Parmi ses enfants, ceux qui seront en bonne santé peuvent constituer un gain [pour la collectivité] supérieur à la charge représentée par ses enfants malades ». Il faudra donc se montrer clément. En revanche, dans le cas d’une malformation corporelle sérieuse associée à des capacités intellectuelles limitées, l’expert ne devra avoir aucune hésitation pour éliminer cette « lignée défectueuse ».[136]

Prenons le cas de la surdité.[137] L’Allemagne comptait environ 50 000 sourds et sourds-muets. Depuis la promulgation de la loi de stérilisation eugénique de juillet 1933, chaque sourd en Allemagne devait être examiné par un médecin ORL afin de déterminer si sa surdité était d’origine héréditaire ou non. L’ORL transmettait ensuite son diagnostic à l’Office de santé local ou au Tribunal de Santé héréditaire pour que ce dernier décide ou non de lancer une procédure de stérilisation, au cours de laquelle les patients repérés étaient à nouveau examinés par des experts. Les médecins et généticiens profitèrent de ces examens systématiques des sourds et de leur famille pour développer leur connaissances et publier des articles scientifiques. Otmar von Verschuer publia ainsi un article sur « L’expertise de la surdité héréditaire » dans le journal d’oto-rhino-laryngologie où il faisait le bilan de 4 années d’expertise au service des Tribunaux de Santé Héréditaire. Il recommandait en conclusion de son article une extension du dépistage aux membres apparemment sains de la famille des sourds et sourds-muets, « afin de repérer les microformes de la manifestation du gène et distinguer éventuellement les porteurs hétérozygotes de la disposition récessive à la surdité-mutité, des membres héréditairement sains de la famille ».[138] Et ces porteurs sains des mauvais gènes, qui ne nécessitaient pas de traitement médical, devaient être identifiés uniquement pour introduire une nouvelle discrimination et améliorer la politique eugéniste d’éradication de la maladie. Tout progrès de la Erbpathologie permettait d’affiner la politique de sélection eugéniste.

Une branche de la Erbpathologie, la « génétique expérimentale et comparative des pathologies » (experimentele und vergleichende Erbpathologie), travaillait surtout sur des animaux. Avec des souris, des lapins, des cobayes, etc., on pourrait se croire très loin de l’hygiène raciale nazie, mais ce n’était pas le cas. L’un de ses plus éminents représentant sous le nazisme fut le biologiste Hans Nachtsheim.[139] Nachtsheim avait commencé sa carrière de généticien dans le secteur de l’agronomie, en travaillant par exemple sur la qualité et la couleur du poil de diverses races d’animaux domestiques, dont le pelage donnait une valeur commerciale aux animaux ou était utilisée dans l’industrie. En 1921, il est nommé professeur non titulaire à l’Institut de Génétique de l’École Supérieure d’Agronomie de Berlin. Dans les années 1920, Nachtsheim milite aussi, à l’instar de nombreux autres généticiens, pour la cause eugénique et la stérilisation. À côté des caractères « raciaux » des animaux domestiques (morphologie, couleur du poil, etc.), il s’intéresse de plus en plus aux maladies et anomalies génétiques, dont ses élevages intensifs de lapins lui fournit de multiples exemplaires. Il élève lui-même par an 1200 à 1500 lapins avec des caractéristiques spéciales et entretien des contacts avec des éleveurs professionnels de lapins à travers tout le pays qui lui envoient les mutations intéressantes. Très souvent il retrouve chez les animaux les mêmes anomalies et pathologies que chez l’homme. Dan un article publié dans Der Erbarzt en 1937, il a identifié chez le lapin une vingtaine de maladies et anomalies génétiques similaires à l’homme.[140] Et la reproduction aussi véloce que prolifique des rongeurs à grandes oreilles permet une analyse beaucoup plus rapide et approfondie de la transmission héréditaire des pathologies génétiques. Dans ses demandes de crédits de recherche, Nachtsheim souligne la portée de ses recherches sur les lapins pour l’hygiène raciale de l’État nazi. La méthode expérimentale permet accéder à une analyse des maladies et des anomalies héréditaires difficilement accessible au scientifique chez l’homme.[141] Même un film qu’il réalise sur une maladie neurologique héréditaire chez le lapin sert la propagande eugéniste du régime. Quatre ans après l’avènement du nouveau régime, en 1937, dans un article sur les « Recherches en pathologie génétique chez le lapin », Nachtsheim qui, lui-même ne rejoindra jamais les rangs du Parti nazi, note favorablement que « De par les mesures législatives dans le domaine de l’hygiène raciale [prises par le régime nazi, c’est-à-dire toutes les lois eugénistes], l’étude des maladies héréditaires chez l’homme a reçu une forte impulsion ».[142]

En 1941, Nachtsheim est recruté par Eugen Fischer pour diriger le Département de pathologie génétique expérimentale à l’IKW d’Anthropologie, de Génétique humaine et d’Eugénisme. L’année suivante, il est également nommé professeur à l’Université de Berlin. Parmi les pathologies sur lesquelles il travaille, Nachtsheim s’intéresse à l’épilepsie. Il avait trouvé une mutation récessive chez le lapin qui augmentait la susceptibilité à la crise d’épilepsie. Dans les années 1930, les psychiatres cherchaient un moyen de distinguer les épileptiques héréditaires de ceux qui devaient leur épilepsie à un traumatisme ou une infection cérébrale. L’un des moyens qu’ils tentèrent consistait à injecter du cardiozol – une substance provoquant des crises d’épilepsie très violentes et utilisée dans les années 1930 sur les schizophrènes (comme « thérapie de choc ») – en injection intraveineuse. Nachtsheim essaya lui aussi le cardiozol sur ses lapins épileptiques, sans grand succès. En revanche, il démontra avec ses expériences sur les animaux, que le manque d’oxygène constituait un excellent facteur déclenchant pour la crise d’épilepsie (un phénomène également constaté par les physiologistes spécialistes de médecine aéronautique). Il suggéra alors, avec un autre chercheur de l’IKW de Biochimie, de soumettre des humains, adultes et enfants – car ils avaient noté que les lapins réagissaient différemment selon leur âge – aux mêmes tests. Nachtsheim et son collègue placèrent des enfants épileptiques, âgés entre 5 et 13 ans, dans une chambre de décompression de l’armée de l’air (du même type que celle utilisée pour les expériences mortelles à Dachau), en situation de raréfaction d’oxygène correspondant à des altitudes de 4000 à 6000m. Les enfants venaient de l’asile psychiatrique de Görden, qui servait également de centre pour « l’euthanasie des enfants ». Nul ne se préoccupa d’éventuelles séquelles cérébrales et troubles neurologiques supplémentaires des suites de l’expérience. Les enfants n’étaient pas destinés à être soignés mais servaient uniquement de cobayes pour mettre au point un test diagnostic pour permettre de stériliser d’autres enfants. La fin de la guerre empêcha les deux scientifiques de publier leurs résultats. Nachtsheim n’était pas membre de la SS, ni même du Parti nazi, ni d’aucune organisation nazie.[143] On voit comment la « thérapie » eugéniste pouvait motiver, chez un scientifique « ordinaire », des recherches expérimentales d’abord sur des animaux, puis sur des êtres humains, qui dérivaient vers des expériences totalement non éthiques du point de vue du respect de l’individu (mais éthiques du point de vue de la morale du « médecin de l’hérédité » qui place la « race » au-dessus de l’individu).

L’une des branches les plus florissantes de la Erbpathologie était la Erbpsychiatrie. Sans doute était-ce dû au fait que la propagation héréditaire des « fous » inquiétait davantage les eugénistes que celle des diabétiques et hémophiles. La psychiatrie génétique a débuté en Allemagne et en Scandinavie juste avant la 1ère Guerre mondiale. L’un des pionniers fut le psychiatre d’origine suisse et installé en Allemagne Ernst Rüdin, avec son étude mendélienne sur la transmission de la « démence précoce » (schizophrénie) publiée en 1916.[144] Le statisticien médical Wilhelm Weinberg, co-auteur de la Loi Hardy-Weinberg en génétique des populations et autre eugéniste militant, élabora pour Rüdin et les gens de son instituts (à partir de 1917) différents outils statistiques – en particulier la « méthode échantillon » et la « méthode de la fratrie » – pour leurs études génétiques et épidémiologiques sur les troubles psychiatriques.[145] Un des principaux disciples de Rüdin, Hans Luxemburger multiplia les travaux sur la génétique de la schizophrénie dans les années 1920-1930, avec d’une part des études portant sur des jumeaux mono- et dizygotes, dont l’un des membres au moins était schizophrène, et d’autre part des études épidémiologiques étendues.[146]

Néanmoins, pour la plupart des troubles psychiatriques (schizophrénie, psychose maniaco-dépressive, épilepsie), les psychiatres généticiens ne réussissaient pas à mettre en évidence une transmission avec des ratios mendéliens clairs. Certes, d’un côté, les études sur les jumeaux montraient une plus grand concordance chez les jumeaux monozygotes et donc le caractère « héréditaire » de la schizophrénie, de la folie maniaco-dépressive et de certaines formes de retard mental. Par exemple, d’après une étude de Luxemburger (1928) utilisant la méthode comparative des jumeaux mono- et dizygotes, dans 66% des cas lorsqu’un jumeau monozygote était schizophrène l’autre l’était aussi, alors que la concordance était très faible chez des jumeaux dizygotes (3%).[147] Aux États-Unis, Aaron Rosanoff publiait en 1934 une étude sur 142 paires de jumeaux dont l’un au moins était schizophrène: la concordance atteignait 68% chez les monozygotes contre 15% chez les dizygotes. Selon la science de l’époque, ces résultats de Luxemburger et de Rosanoff attestaient du caractère génétique de la schizophrénie. Toutefois, d’après les enquêtes épidémiologiques de Rüdin & Luxemburger, lorsque l’un des parents était schizophrène, seulement 9% des enfants étaient également schizophrènes (ce qui ne correspondait même pas au ratio de 25% d’une transmission récessive). Les psychiatres sauvaient leur édifice théorique en arguant que 18% des autres enfants souffraient de « psychopathie schizoïde » et 23% d’autres « psychopathies ». Au total un enfant sur deux (50%) ayant un parent schizophrène était « anormal », ce qui justifiait la stérilisation pour les eugénistes. Ces ratios d’« anormalité », fondés sur les enquêtes épidémiologiques et développés par Rüdin et son école, avaient été baptisés «  pronostics héréditaires empiriques ». C’est sur ces évaluations statistiques, similaires aux tableaux de risques des assureurs, que les eugénistes se fondaient pour déclarer le caractère « héréditaire » de la plupart des troubles psychiatriques et réclamer les stérilisations.[148]

La vogue du « tout héréditaire » en psychiatrie se trouvait renforcée par un contexte général de succès et de progrès rapide de la génétique médicale. Et la transmission génétique probante de certains troubles neurologiques, comme la « danse de Saint Guy » (la Chorée de Huntington), venait conforter les psychiatres dans leur conviction du caractère héréditaire de l’ensemble des troubles neuro-psychiatriques, y compris des déviances comme la « psychopathie asociale » (vagabonds, marginaux, etc.), le comportement criminel ou l’homosexualité. La démonstration de la transmission autosomale et dominante de la chorée de Huntington fut ainsi faite en 1921 à l’Institut de Rüdin par Josef Lothar Entres, médecin-chef de l’asile d’Eglfing. L’héréditarisme dominant tendait aussi à présenter les troubles psychiatriques comme étant au fond incurables et définitifs, en dépit des premiers succès remportés dans les années 1930 par les thérapies de choc (insuline en 1933, cardiozol en 1935, puis électrochoc en 1938). La seule « thérapie » définitive consistait à empêcher ces « hérédités défectueuses » de réapparaître à la génération suivante. Et pour les patients qui seraient « récalcitrants » aux thérapies de choc, le « résidu » des hôpitaux psychiatriques sans espoir de guérison, il ne restera plus que l’euthanasie pour vider les asiles de ces « bouches inutiles ».

Ce type de logique s’incarne assez bien dans Friedrich Panse, auteur d’une autre étude importante sur la « Chorée héréditaire » (la chorée de Huntington) en 1942[149], au moment où il exerçait comme expert de l’euthanasie. Friedrich Panse, proche du titulaire de la chaire de neuro-psychiatrie de Bonn Kurt Pohlish, avait été nommé en 1936 médecin chef de l’Institut Provincial de Rhénanie de Recherche génétique en psychiatrie et neurologie à Bonn. Membre du Parti nazi depuis 1937, Panse avait obtenu un poste de maître de conférence en psychiatrie et neurologie à l’Université de Bonn la même année. Il était en outre chargé de cours en hygiène raciale à la Faculté de médecine depuis 1938. Panse et Pohlish étaient tous deux des experts en psychiatrie génétique et en stérilisation eugénique. Panse siégeait dans un Tribunal d’Appel de Santé Héréditaire (EGOG), tranchant les cas de stérilisation contestés. En avril 1940, Panse avait participé avec Pohlish et d’autres professeurs de psychiatrie à la réunion préparatoire à Berlin sur l’euthanasie. Panse et Pohlish deviennent ensuite tous les deux des experts pour l’euthanasie T4. Panse a rendu un verdict sur dossier pour au moins 500 à 600 cas de patients psychiatriques signalés.

 

Qu’est-ce que la « raciologie » ?

Le terme de Rassenkunde (raciologie ou « science de la race »)[150] commence à apparaître en Allemagne vers 1890 et se diffuse dans les années 1920, notamment grâce au vulgarisateur ultra-politisé Hans Friedrich Karl Günther, qui fut aussi le plus connu des théoriciens de la race dans l’Allemagne de l’Entre-deux-guerres.[151] La dizaine d’ouvrages raciologiques qu’il publie entre 1922 et 1934, tels que Rassenkunde des deutschen Volkes (« Etude raciologique du peuple allemand », 1ère éd. 1922), Rassenkunde Europas (« Etude raciologique de l’Europe », 1926), ou Rassenkunde des jüdischen Volkes (« Étude raciologique du peuple juif », 1930), remportent un énorme succès dans les milieux nationalistes völkisch diplômés (près d’un demi million d’exemplaires vendus). Les livres de Günther contribuent à populariser le « racisme nordique » dans la population allemande mais aussi ce que l’on pourrait appeler le « regard racial » : cette façon de regarder les gens en évaluant leur « valeur raciale » (Rassenwert), en fonction de leur plus ou moins grande proportion de telle ou telle « race » ; un regard scrutateur et assez réducteur qui croit trouver l’essence de la personne dans sa « race ». Ce type de vulgarisation scientifique politisée a ainsi influencé la culture quotidienne allemande et les idéaux corporels esthétiques des années 1920-1940.

Günther distingue une demi-douzaine de « races » au sein des populations allemande et européenne, dont la fameuse « race nordique », grande, blonde, aux yeux bleus, et au crâne dolichocéphale (allongé comme un ballon de rugby, par opposition à brachycéphale : crâne rond), à laquelle il attribue une aptitude civilisatrice supérieure à toutes les autres. Hormis cette dimension sur la « psychologie raciale » (Rassenseelenkunde), les « styles culturels raciaux » (Rassenstil) et ses « histoires raciales » (Rassengeschichte),[152] qui sont du Gobineau ou du Vacher de Lapouge perfectionné et modernisé, Günther n’apporte rien de très nouveau dans ses livres. Comme nous l’avons signalé, lui-même n’était pas anthropologue de formation, mais docteur en philologie. Néanmoins, Günther était loin d’être ignorant en matière d’anthropologie. Pour préparer son premier ouvrage raciologique, outre les cours d’Eugen Fischer auxquels il avait assisté à Fribourg à l’époque où il était étudiant en doctorat, il a rendu visite et s’est documenté auprès de plusieurs anthropologues universitaires, à l’Institut d’Anthropologie de l’Université de Vienne (Otto Reche), au Musée de Zoologie et d’Ethnologie de Dresde (Bernhard Struck) et auprès de Theodor Mollison à Breslau. Compilateur méticuleux et doté d’une bonne plume, une bonne partie de ses atlas raciologiques, notamment toute la classification des « races » européennes, s’appuie et vulgarise les travaux des anthropologues de l’époque et des décennies précédentes, dont l’anthropologue français d’origine russe Deniker. Après sa première chaire d’« anthroposociologie » à l’Université d’Iéna, de 1930 à 1935 (où Hitler et Goering se rendent en personne à son cours inaugural), Günther obtient un poste de professeur titulaire de « raciologie, biologie des peuples et sociologie rurale » à l’Université de Berlin. Ensuite, lassé par la vie berlinoise, il se retire dans sa ville natale de Fribourg, où on lui offre un poste de professeur de 1940 à 1945. Membre du parti nazi depuis 1932, il sera récompensé par plusieurs des plus hautes distinctions du régime.[153]

Donc à l’exception de la « psychologie des races » (Rassenseelenkunde) et de « l’histoire raciale » (Rassengeschichte) et avec un style politique très différent, le gros de la « raciologie » n’était ni plus ni moins que « l’anthropologie physique » classique, héritée de l’époque de Broca en France et Virchow en Allemagne, à laquelle s’était ajouté, avant la 1ère Guerre mondiale, « l’anthroposociologie » (l’études des rapports entre « race » et « société » et des phénomènes de « sélections sociales » sur la biologie des « races »), puis, dans les années 1920, la génétique humaine et l’étude de la distribution ethnique des groupes sanguins (actuelle « hémotypologie » qui s’appelait à l’époque « physiologie raciale » : Rassenphysiologie). Cette discipline scientifique qui cherchait à décrire l’humanité dans ses variations corporelles et à la classer en « races » semblait à l’époque tout à fait légitime, même si le concept de « race » et le bien-fondé des classifications raciales a été plusieurs fois mis en cause depuis la fin du XIXe siècle.[154]

Certes, la raciologie était devenue en Allemagne dans les années 1920-1930 le terrain de jeu privilégié des nationalistes völkisch à la Eugen Fischer, Otto Reche, ou Egon von Eickstedt. Cependant, ils n’en n’avaient nullement l’exclusivité. Ce mélange de « normalité scientifique » internationale et d’orientation völkisch d’une bonne partie des adeptes allemands de la discipline se retrouve dans les cinq principales revues anthropologiques ou raciologiques en Allemagne.[155] D’un coté, la Zeitschrift für Rassenphysiologie, éditée par Otto Reche et un autre spécialiste des groupes sanguins, avait visiblement comme politique éditoriale de boycotter les scientifiques juifs, alors même que la contribution de ces derniers a été primordiale dans le développement de la recherche sur les groupes sanguins (à commencer par le Viennois Landsteiner qui a découvert les groupes sanguins ABO).[156] En revanche, la Zeitschrift für Morphologie und Anthropologie (ZMA), éditée par Eugen Fischer, n’était pas réservée aux anthropologues allemands d’extrême droite völkisch et antisémites, ou européens « aryens ». En 1931-1933, elle accueillait encore des anthropologues et généticiens humains, soviétiques comme le Prof. Bunak, de l’Institut Anthropologique de l’Université d’État de Moscou, ou juifs, comme Harry Conitzer et Fritz Schiff.[157] Cette « normalité scientifique » de la Rassenforschung dépassait le seul cadre allemand. Avec des « styles nationaux » différents et dans des proportions variables selon les pays, une bonne partie du type de travaux menés dans le cadre de la Rassenforschung allemande – par exemple la mesure des crânes ou la distribution des groupes sanguins parmi les diverses « races humaines » – se retrouvait dans des revues d’anthropologie physique dans les autres pays.[158] Lorsque l’anthropologue de Breslau Egon von Eickstedt lança une nouvelle revue, la Zeitschrift für Rassenkunde (« Revue de raciologie »), en 1935, il n’eut aucune difficulté à rassembler un comité éditorial très international, avec des anthropologues italiens, polonais, américains, anglais, argentins, hollandais, grecs, portugais, suédois, suisses, français et même japonais, indous ou chinois.[159] Et Friedenthal, Brandt, Münter, Weidenreich et Weninger, qui émigrèrent ou furent persécutés par le régime nazi, parce qu’ils étaient juifs, de gauche, ou mariés à des femmes juives, enseignaient la raciologie sous Weimar (voir tableau 1).

Néanmoins, si la « raciologie » n’a pas été inventée par les nazis, un certain nombre d’intellectuels se méfiaient à juste titre de l’aura politique völkisch de cette discipline. Le médecin sexologue, d’origine juive et eugéniste de gauche Max Marcuse jugeait ainsi dès 1923 que l’ouvrage raciologique de Günther portait « une responsabilité « scientifique »» dans la montée de la haine raciale. Et le même Marcuse voyait dans le 2e volume de rédigé par Fritz Lenz, Sélection humaine et Hygiène raciale, du manuel Baur-Fischer-Lenz « la représentation littéraire la plus remarquable d’un groupe de jeunes scientifiques, qui rassemble de plus en plus d’adeptes et dont la dynamique intellectuelle et éthique mérite d’autant plus d’attention, qu’elle est dangereuse sur le plan culturel et politique ».[160]

Effectivement, la contribution de la « science de la race » au racisme nazi n’a pas été minime. D’abord, le racisme dans sa forme moderne n’existerait pas ou au moins n’aurait pas eu la forme qu’il a prise s’il n’y avait pas des groupes humains socialement construits comme des « races ». Et dans la construction sociale des « races » humaines, la science a joué un rôle majeur. Pour ne donner qu’un seul exemple, les concepts d’« Aryens » (ou « Indo-Européens » ou Indo-Germanen) et de « Sémites » ont été inventés par des linguistes au XIXe siècle. Ils n’existaient pas avant. Ils ne se voient pas à l’œil nu, et pourtant ils ont orientés les imaginaires identitaires, des idéologies politiques et des pratiques sociales pendant au moins un siècle.

Le concept de « race » a été lancé par la science occidentale au XVIIe et XVIIIe siècles. Les naturalistes décidèrent alors de cesser de faire de l’espèce humaine une espèce totalement à part et de la faire rentrer dans la sphère zoologique. L’humanité devait être soumise au même type de classification objective que celles qu’ils avaient élaboré pour les plantes et pour les animaux. Comme l’a brillamment analysé Foucault, le nouveau savoir classificatoire qui émerge au XVIIe siècle se distingue du savoir précédent, plus baroque et proliférant dans toutes les directions, par son dépouillement volontaire. Le nouveau savoir se restreint délibérément à l’observation visuelle. Et cette observation visuelle est elle-même planifiée par la volonté de dégager des structures morphologiques. Les caractères retenus pour l’observation doivent permettre de comparer et, par leur combinatoire, d’établir un système ou une méthode de classement.[161]

Néanmoins, en dépit de cette volonté de neutralisation des autres savoirs et référents, la question philosophique, religieuse et politique semblait inscrite, dès le départ, dans l’objet même de cette discipline : le découpage de l’humanité, sur la base de caractères anatomiques, en catégories zoologiques. Les « races humaines » supplantait d’autres catégorisations de l’humanité. Elles mettaient au premier plan la dimension corporelle des hommes et traçaient de nouvelles frontières sur la base de ces seuls critères morphologiques. La nouvelle taxonomie rapprochait dangereusement l’homme du monde animal. Très vite, également, elle chercha à évacuer toute dimension spirituelle ou philosophique. L’homme était réduit à sa matérialité corporelle, ses os, sa peau, son cerveau, sa structure morphologique, et les anthropologues pensaient qu’il s’agissait là du savoir essentiel, car objectivable. Pour cette raison, lorsque le Fremdwort (« mot étranger ») de « race » a commencé à se répandre au XVIIIe siècle, des philosophes, naturalistes et théologiens, tel Herder en Allemagne, se sont opposés à ce découpage de l’humanité en « races », à ces nouvelles frontières fondées sur le physique, et à ce « mot peu noble ».[162] Inversement, quelques décennies plus tard, au XIXe siècle, l’insistance sur l’existence de ces « races » pouvait aussi servir à naturaliser l’humanité chez les matérialistes luttant contre le spiritualisme chrétien.

Ces résistances et emballements n’ont pas empêché que, depuis le début du XVIIIe siècle, l’étude de ces « races humaines » soit devenu progressivement un projet scientifique à part entière dans de nombreux pays. L’institutionnalisation de la discipline a débuté dans la deuxième moitié du XIXe siècle. La première revue en Allemagne, Archiv für Anthropologie, paraît à partir de 1866. La première société scientifique nationale, la Société Allemande d’Anthropologie, d’Ethnologie et de Préhistoire, est fondée en 1870. La première chaire d’anthropologie, associée à un institut d’anthropologie, établie dans une université allemande, date de 1886, c’est celle de Munich.[163] Au moment où Hitler arrive au pouvoir, environ une dizaine d’universités sur 23 disposent d’une chaire, d’un institut ou d’un poste en anthropologie physique (voir annexe 3). En 1925, une nouvelle société, exclusivement dédiée à l’anthropologie physique – la « Société Allemande d’Anthropologie physique » – est créée. En 1938, elle se rebaptise « Société de Recherche sur les races » (« Gesellschaft für Rassenforschung »). De même des instituts d’anthropologie se renomment instituts de raciologie. Ce changement de nom, du terme « Anthropologie » (= science de l’Homme ou Menschenkunde) à celui de « Rassenkunde » n’était pas indifférent, mais reflétait un changement de « style » dans les valeurs politiques véhiculées par cette discipline.

La contribution de la « science de la race » au racisme nazi est multiple. D’abord, on peut dire qu’elle a directement participé à la formation de la « conception du monde » (Weltanschauung) nazie. Le racisme nazi pense et opère en fonction de catégories élaborées par la « science de la race ». Ceci concerne aussi bien les concepts généraux pour penser l’humain (« race », « hérédité », « sélection »), que des catégories particulières comme les classifications raciales européennes. Prenons deux exemples : le racisme nordique et l’identification des Juifs.

La Weltanschauung nazie combinait au moins trois sortes de racismes : un antisémitisme racial et manichéen ; un racisme hiérarchisateur européo-centriste à l’égard des « races de couleur », plus commun mais avec une tonalité darwiniste sociale; et un « racisme nordique ». D’après son principal apôtre, H. F. K. Günther, la « pensée nordique » cultivait un amour pour une race particulière – la « race nordique » – plutôt qu’elle n’était dirigée contre une race particulière (à l’inverse ainsi de l’antisémitisme qui est une pensée purement négative). C’était une sorte d’amour collectivisé de sa propre « race » idéalisée, la projection d’un corps collectif reliant par le « sang » les individus atomisés d’une société moderne.

Le terme « race nordique » avait été forgé par un anthropologue français d’origine russe, Josef Deniker, pour décrire une « race » blonde, grande et dolichocéphale se trouvant surtout dans le Nord de l’Europe (d’où le nom de « nordique »). Parmi les autres « races » européennes, des classifications raciales européennes de l’époque, on trouvait la « race alpine », petite, brune, avec des crânes ronds (brachycéphale), la « race méditerranéenne », petite, brune avec des crânes dolichocéphales, la « race euro-orientale », blonde, plutôt brachycéphale et plus petite que la « race nordique », etc. Deniker lui-même n’avait aucune préférence particulière en matière de « races » européennes. Ensuite, dans le sillage de la conversion de l’anthropologie allemande à l’« anthroposociologie » de Vacher de Lapouge et Ammon à la veille de la 1ère Guerre mondiale, cette classification raciale a été investie par une « psychologie raciale » attribuant à chaque « race » un style culturel et des aptitudes sociales et civilisatrices différentes.[164] La « race nordique », en particulier, a été investie de tout le « mythe aryen » à la Gobineau et « germanique » à la H. St. Chamberlain, revu et corrigé par des anthropologues et archéologues universitaires. La « race nordique » était la « race supérieure » en Europe, la race des généraux, des aventuriers, des entrepreneurs, des scientifiques et des artistes, celle responsable de la plupart des réalisations des civilisations grecque, romaine, de l’Europe du Moyen-âge et de l’Occident moderne. Cependant, chaque fois que cette « race nordique » se mélangeait aux autres « races » ou subissait des « sélections sociales négatives » (élimination des « élites nordiques » par les guerres, l’urbanisation, le célibat religieux, etc.), la civilisation en question déclinait. Il était donc vital pour une nation de préserver ce précieux stock de « sang nordique » : c’était son bien le plus bien le plus inestimable, la condition de sa survie en tant que nation ayant un rôle à jouer dans le monde. C’est par ce biais académique, ainsi que par celui plus populiste de l’antisémitisme, que le nationalisme allemand dans sa composante völkisch s’est racialisé.

Dans les années 1920, ce « racisme nordique », imprégné d’eugénisme, a été diffusé par des scientifiques comme Eugen Fischer, Fritz Lenz ou Otto Reche, dans des manuels et ouvrages universitaires, et par des vulgarisateurs, idéologues et « philosophes » comme H. F. K. Günther ou L.-F. Clauss. Des revues cultivant ce racisme nordique se sont mises à fleurir : Die Sonne (« Le soleil »), Volk und Rasse (« Peuple et race »), Germanien, ou Rasse. Des organisations, telle la « Société Nordique », créée en 1921, et le « Ring Nordique », créé en 1926, ont cherché à rassembler les partisans de la cause nordique. Ce racisme nordique est devenu une référence pour de nombreux pontes du régime nazi, dont Alfred Rosenberg (l’idéologue en chef du Parti nazi et rédacteur en chef du Völkischer Beobachter), le Führer des paysans du Reich et théoricien Blut und Boden Walter Darré, le chef de la SS Heinrich Himmler, le Ministre de l’Intérieur Frick, le chef de l’Office de la Politique Raciale du NSDAP Walter Gross, le Ministre des Affaires étrangères Ribbentrop, le Führer de la Jeunesse Baldur von Schirach, etc. [165]

Ce principe de « sélection raciale » et de « re-Nordification » (Aufnordnung) a ensuite été appliqué sur le plan politique, d’abord par la SS. Ce qui avait d’abord été conçu pour être les « sections de protection », la garde de fer, du Parti nazi ont été ainsi été transformées en un creuset pour la future élite raciale de l’Allemagne. La SS était la seule organisation au sein du mouvement nazi à se constituer sur la base d’une sélection raciale systématique et elle devait servir de modèle racial au reste de la nation allemande et au Parti nazi lui-même. En décembre 1931, le Reichsführer-SS Himmler émit un « ordre de fiançailles et de mariage » (Verlobungs- und Heiratsbefehl des Reichsführer SS) qui déclarait que désormais la SS était une association sélectionnée d’hommes allemands du type racial nordique.[166] Le supplément du magazine hebdomadaire de la SS Das Schwarze Korps (« Le corps noir ») s’intitulait d’ailleurs Der Nordische Mensch (« L’homme nordique »). Les conditions d’admission à la SS étaient beaucoup plus strictes que pour les autres organisations nazies. Les candidats devaient remplir des critères non seulement politiques, mais aussi raciaux, eugéniques et médicaux. Le type racial recherché était le type « nordique ». Aucun ancêtre juif n’était toléré jusqu’à 1800 pour le SS de base, et 1750, pour les officiers SS. Un handicap physique ou un des deux parents interné 20 ans plus tôt pour schizophrénie suffisait à barrer la porte de l’ « Ordre noir ». Même les futures épouses devaient se soumettre aux examens des anthropologues et médecins eugénistes SS pour être autorisées à se marier avec les membres de l’élite raciale. Un SS ne pouvait se marier sans autorisation de mariage. L’autorisation était « accordée ou refusée uniquement et exclusivement du point de vue de la race et de la santé héréditaire ».  Au sein de la SS, un département, qui s’appela d’abord Rassenamt, puis en 1933 Rasse- und Sieldlungsamt-SS et, en 1935, « Office Supérieur de la Race et de la Colonisation » de la SS (Rasse- und Siedlungshauptamt = RuSHA-SS), était chargé de la sélection des candidats et de leurs épouses. L’Office racial (Rassenamt) fut dirigé au début par le chaotique W. Darré (puis, après qu’il soit devenu RuSHA, par Hofmann (1940-1943) and Pancke), mais avec l’aide d’un anthropologue professionnel B. K. Schultz, qui deviendra lui-même en 1941 le chef du Rassenamt du RuSHA-SS. Les « experts raciaux » du RuSHA-SS établirent ainsi des dossiers très détaillés sur environ 1,2 million de candidats, membres de la SS et leurs épouses potentielles.[167]

Au départ, la mission du RuSHA-SS se limitait à la sélection des candidats SS et de leurs fiancées. Il était aussi responsable de la formation raciale et idéologique des membres. Chaque membre de la SS devait se voir inculquer l’importance de la « race » et le b-a-ba de la « science raciale ». Mais une fois promu « Office Supérieur de la Race et de la Colonisation » de la SS, les « experts raciaux » (Eignungsprüfer) du RuSHA-SS furent également chargé à partir de 1939 de sélectionner racialement les populations des pays occupés ainsi que les Volksdeutschen, les « Allemands ethniques », de Pologne, de Tchécoslovaquie, rapatriés d’URSS ou d’autres pays de l’Est, qui devaient grossir le Reich et coloniser les nouveaux territoires de l’Est. Himmler avait été nommé par Hitler Reichskommissar für die Festigung deutschen Volkstums (« Commissaire du Reich pour le Renforcement de l’Ethnie allemande »).[168] À l’Est, la politique raciale visait à une totale transformation des populations (Umvolkung). D’après le Generalplan Ost, rédigé, pour Himmler, par le spécialiste de l’aménagement du territoire, le Pr. Konrad Meyer-Hetling de l’Université de Berlin, 31 millions de Slaves de « race inférieure » devaient être soumis à une « politique démographique négative » ou déplacés en Sibérie. Pour prendre leur place, la « politique démographique positive » prévoyait la procréation ou la « récupération » de 100 millions de Nordiques, pour faire un Reich de 250 millions d’Allemands « germaniques » ou « nordiques ». Dans son mémoire ultra-secret du 15 août 1940 « Quelques réflexions sur le traitement à appliquer aux populations étrangères de l’Est », Himmler précise: « tous les enfants âgés de six à dix ans résidant dans les territoires du Gouvernement général feront l’objet d’un tri racial afin de déterminer la valeur de leur sang ». « Lorsque nous reconnaissons un (…) enfant comme étant de notre sang, il sera annoncé aux parents que l’enfant sera scolarisé en Allemagne ».[169] Les Volksdeutschen étaient filtrés dans les EWZ (Einwandererzentralstelle) et les populations des pays occupés comme la Pologne dans des UWZ (Umwandererzentralstelle). Les diagnostics raciaux des « experts raciaux » décidèrent du sort de près de 4 millions de personne, individuellement, et à une échelle plus large, collectivement à partir d’échantillons, de régions et de nations entières, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Alsace-Lorraine, en URSS, etc.

Par exemple, en Pologne, dans le centre de tri de Zamosc, la population polonaise, examinée racialement par un médecin SS spécialisé, était classée en 5 catégories : Groupe I : les « Allemands ethniques » citoyens polonais ; Groupe II : les Polonais de « race nordique »  ou d’origine en partie allemande ; Groupe III : les Polonais aptes à servir de main d’œuvre en Allemagne pour le S.T.O ; Groupe IV : les vieux, les infirmes et les enfants, du même niveau racial de « moindre valeur » que le Groupe III, mais inaptes au travail, ou les personnes racialement « contaminées » ; Groupe V, comprenant les Juifs, les « Tziganes » et les « asociaux », destiné à être rapidement éliminés et déportés en camp de concentration (KL). Après un deuxième triage plus « fin » au centre de Litzmannstadt, les Groupe I et II doivent être rapatriés en Allemagne pour y être « re-germanisés ». Les enfants polonais du bon « type racial » nordique pouvaient être volés à leur parents, examinés à nouveau dans un « camp racial » (Rassenlager) du RuSHA, puis placés dans des familles d’accueil en Allemagne pour y être germanisés.[170]

Le RuSHA-SS disposaient d’environ 500 « experts raciaux » pour les sélections raciales.[171] Une partie significative d’entre eux ou des formateurs étaient des anthropologues professionnels avec des positions universitaires (par exemple le Pr. W. Gieseler et le Dr. H. Fleischhacker à l’Université de Tübingen, le Pr. G. Heberer à Iéna, le Dr. M. Hesch à Leipzig, Dr. H. Schade à l’IKW d’Anthropologie à Berlin, ou même, à un moment donné de sa carrière le Dr. Mengele). Avant d’être lancés sur leurs terrains d’opération, chaque « expert racial » devait recevoir une formation en raciologie, en génétique humaine et en eugénisme. Berlin et Prague étaient les deux principaux centres de formation. À Berlin, ils étaient formés à l’IKW d’Anthropologie, de Génétique humaine et d’Eugénisme, ainsi qu’à l’Institut d’Hygiène Raciale de Lenz à l’Université ; à Prague, à l’Institut de Biologie raciale dirigé par B. K. Schultz.

Bruno Kurt Schultz appartient à cette catégorie de scientifiques plutôt médiocre, mais très efficaces et organisés, qui réussissent dans les institutions et en termes de pouvoir. Sur le plan scientifique, il n’a jamais rien produit d’original. Ses ouvrages sont un mélange de sous-Günther et d’anthropométrie la plus traditionnelle. Néanmoins, bien que simple assistant d’un Institut, il était déjà co-éditeur d’une des principales revues anthropologiques, l’Anthropologischer Anzeiger, sous Weimar. Il prend ensuite, en plus, la direction de la revue eugénico-raciste illustrée et plus grand public Volk und Rasse. Il grimpe tous les échelons de la carrière académique, de simple assistant à l’Institut d’Anthropologie de Munich en 1930, à directeur de l’Institut de Biologie Raciale de Prague en 1942. Après une thèse de doctorat en études scandinaves, il s’était formé à l’anthropologie à Vienne, Leipzig et Munich, auprès de Otto Reche, Mollison et Lenz. En 1934, il passe son Habilitation pour enseigner en université et devient maître de conférence. De même, recruté en 1932 par W. Darré en tant que « rapporteur » pour les questions de « sciences de la race », il gravit la hiérarchie SS pour atteindre le rand de Standartenführer-SS et chef du Rassenamt du RuSHA-SS.[172]

C’est toujours de le cadre de cette pensée classificatoire des « types raciaux » répandue par la raciologie que le SS-Unterscharführer Wolfgang Abel, directeur du Département de raciologie de l’IKW d’Anthropologie et directeur de l’Institut de Biologie raciale de l’Université de Berlin, mena en 1941 une très grosse enquête sur les prisonniers de guerre soviétiques (six mois après l’invasion de l’URSS, en juin 1941, la Wehmacht avait déjà capturé plus de 3 millions de soldats soviétiques). Il découvrit à sa grand surprise que les Russes présentaient un beaucoup plus fort pourcentage de « race nordique » que celui habituellement envisagé par les anthropologues. Dans la perspective du racisme nordique, cela signifiait que les Russes étaient un adversaire beaucoup plus dangereux que prévu. Abel proposa deux solutions possibles : soit la « liquidation » ou « l’éradication [globale] du peuple russe » (Ausrottung), soit un tri racial avec récupération et germanisation des éléments de « race nordique ». En 1943, Abel menait une nouvelle enquête très détaillée sur près de 4000 prisonniers de guerre soviétiques de diverses ethnies. Il devait fournir les informations raciologiques nécessaires au « Plan Général Est » qui prévoyait le « repeuplement » des territoires occupés de l’Est sur la base de critères strictement raciaux.

Le même type d’identification sur la base des classifications raciales avait été employé pour repérer et stériliser les « bâtards de Rhénanie », ces enfants et adolescents nés des relations de femmes allemandes avec des soldats coloniaux (d’Afrique noire, d’Afrique du Nord et d’Indochine) des armées françaises et belges lors de l’Occupation de la Ruhr à la suite du non paiement des réparations.

En revanche, dans le cas des Juifs, la raciologie classique ne fonctionnait pas très bien comme instrument de classification et de sélection. D’après les anthropologues allemands – et pas seulement allemands – depuis la fin du XIXe siècle, il n’existait pas une « race juive » homogène et identifiable au moyen des mesures de l’anthropologie physique.[173] Du point de vue de la craniologie, les Juifs sépharades étaient plutôt dolichocéphales, les Juifs ashkénazes, généralement brachycéphales. D’après des enquêtes menées par des anthropologues juifs, comme Samuel Weissenberg, seuls 10% des Juifs russes avaient le fameux nez recourbé des caricatures, tandis que 69% des Juifs présentaient un nez rectiligne. Néanmoins, la raciologie servait à marquer l’« étrangeté raciale » des Juifs (déclarés Rassenfremd). Pour les anthropologues néo-darwiniens et généticiens humains des années 1910-1940, la plupart des caractères distinctifs des Juifs étaient « raciaux » et génétiques. Certes, ils ne parlaient pas de « race juive » comme le faisaient les antisémites scientifiquement incultes à la Streicher. Les anthropologues disaient depuis plusieurs décennies que les Juifs n’étaient pas une « race » homogène, mais un conglomérat ethnique formé de plusieurs « races », dont la « race proche-orientale » (ou « arménoïde » avec le fameux nez recourbé), la « race orientale » (ou « sémitique » incarnée par les bédouins arabes), et la « race nordique » déjà présente sur le sol palestinien, puis mélangées avec les autres « races » qu’ils avaient côtoyés.

En revanche, d’après ces mêmes anthropologues, si les Juifs d’Europe centrale ne formaient pas une « race », ils ne se distinguaient pas moins statistiquement des populations germaniques et d’Europe centrale par un certain nombre de caractères morphologiques et physiologiques – en moyenne ils avaient, entre autres choses, une complexion plus brune, étaient plus brachycéphales, d’une taille plus petite, et les hommes avaient un système pileux plus développé – tous caractères dont la science de l’époque avait prouvé qu’ils étaient héréditaires et donc « raciaux ».[174] Si la différence entre Juifs de « race proche-orientale » et Allemands de « race nordique » se limitait à la forme des lèvres, à la couleur plus foncée des cheveux, au degré de pilosité des hommes, et à l’âge de la première menstruation des jeunes filles, il n’y a avait pas de quoi bâtir une « conception du monde » digne de rallier des diplômés, sinon à cristalliser sur des différences corporelles un antagonisme idéologique.

Pour les anthropologues et hygiénistes raciaux, l’essentiel n’était pas là. Ils étaient tout à fait conscients qu’une bonne partie des Juifs européens ne pouvaient absolument pas être identifiés sur la seule base de leurs caractères corporels. Il y avait des Juifs blonds aux yeux bleus. Inversement, des Allemands « pure souche » pouvait présenter des caractères « juifs ». La « race dinarique » des anthropologues, en particulier, très présente dans les Balkans, la Bavière et le Tyrol autrichien, présentait de nombreuses similitudes avec la « race proche-orientale » caractéristique d’une partie des Juifs, des Palestiniens, des Arméniens et des Turcs. Aussi la différence physique ne suffisait-elle qu’à signaler et rappeler l’étrangeté originelle des Juifs sur la partie septentrionale et centrale du continent européen.

Et en termes « d’étrangeté raciale », la différence essentielle d’avec les Juifs résidait dans la sphère du psychisme, de la mentalité et du comportement. Selon les raciologues, une partie de ce psychisme était hérité des groupes raciaux originels, en particulier de la « race orientale » et de la « race proche-orientale ». Les Juifs devaient aussi leur « esprit » à plus de 2000 ans de sélections sociales, économiques et culturelles dans la diaspora qui avaient privilégié la reproduction biologiques de certaines qualités par rapport à d’autres. La pression sociale avec sélectionné un type de Juif parfaitement adapté au milieu urbain et orienté vers les professions commerciales ou permettant de s’enrichir rapidement. La culture juive, avec l’éducation talmudique, avait favorisé une forme de pensée intellectuelle purement formelle et logique. Ainsi, s’il n’y avait pas « race juive » au départ, il y en avait une à l’arrivée, une « race mentale sélectionnée », qui avait été biologiquement sélectionnée par les 2000 ans de son histoire. Et il s’agissait d’une « race » « hautement intelligente », « très douée » et « dynamique », mais avec des défauts assez importants : « rusée »,  « calculatrice », dotée d’un « esprit critique » (visiblement un peu trop développé au goût des anthropologues völkisch), et d’une « aptitude à comprendre les autres gens et à profiter des gens et des situations », qui les rendaient redoutables, en particulier face à la « race nordique » supposée être un peu naïve et trop honnête.[175]

Sous Weimar, les anthropologues et hygiénistes raciaux comme Lenz et Fischer, entourés de nombreux collègues juifs, ne pouvaient se permettre de passer pour des antisémites. Ils savaient enrober leurs vision des choses. Dans leurs textes, ils citaient de nombreux eugénistes et anthropologues juifs et prenaient leur distance avec les thèses antisémites les plus vulgaires. Ils adoptaient une attitude apparemment impartiale, sans avoir l’air de formuler des jugements de valeur. Leur approche « objective » donnait à leurs théories toute l’allure d’une science sérieuse. En 1921, l’eugéniste juif de gauche Max Marcuse pensait que Lenz avait fourni dans les pages consacrées aux Juifs « une caractérisation impartiale et purement objective des aptitudes et de la constitution psychique des Juifs comparée à celle des Teutons ». Deux ans plus tard, s’il condamnait Günther, il trouvait toujours « très objectif » le portrait racial des Juifs par Lenz[176], avant de déchanter quand il se rendra compte de l’impact social et politique de ce type de théories « objectives ». Des manuels comme le Baur-Fischer-Lenz contribuèrent en effet à rendre le racisme académiquement respectable auprès de plusieurs générations d’étudiants en médecine allemands. Les Juifs n’étaient pas « inférieurs » mais racialement « différents ». Ils étaient intelligents mais dotés d’une psychologie raciale différente qui produisait une culture étrangère à la culture germanique. Étant donné que les Juifs possédaient toutes les qualités biologiques nécessaires à la réussite sociale, ils représentaient une menace pour la Kultur allemande. Et cette menace ne pouvait être stoppée par les rêves libéraux d’une co-existence pacifique puisque la nature de la divergence était inscrite dans la « race », dans la « nature » la plus profonde des Juifs et des Allemands germaniques. Selon Günther, l’antisémitisme était à mettre sur le compte de cette divergence. Les deux groupes ne pouvaient se comprendre et il en résultait une antipathie réciproque. Une fois le national-socialisme établi, Eugen Fischer exprima un peu plus explicitement son opinion :

« Mais les Juifs – l’amalgame racial oriental-proche-oriental est unique et très spécifique – nous sont étranger comme espèce et différent de corps et surtout d’esprit – ils sont les plus étrangers et les plus opposés à la race nordique […] – et cela nous pouvons le ressentir instinctivement jusqu’à aujourd’hui. »[177]

Cette étrangeté psychique des Juifs ancrée dans leur héritage racial constituait un double danger pour les « races » formant le peuple allemand. D’un part, car les Juifs menaçaient la spécificité ethnique germanique en y introduisant des composantes raciales étrangères venues du Proche-Orient; d’autre part, car les Juifs étaient conduits « naturellement », par leur biologie, à produire une autre culture, d’autres valeurs et un autre ordre social que celui qui était naturel à la « race nordique » :

« L’envahissement par l’esprit juif étranger cherchait à introduire des fondements vitaux et des principes de sélection, qui étaient nécessaires pour la conservation de la judéité, mais qui auraient signifié le déclin pour notre peuple ».[178]

La conséquence de la biologisation et racialisation du « Problème juif » était que la « solution » à la « Question juive » ne pouvait être que d’ordre « biologique ». Dans son Précis d’Hygiène raciale, destiné aux étudiants, Verschuer constatait que « toutes les tentatives de résolution de la Question juive jusqu’à nos jours ont échouées ». Que ce soit par la conversion forcée, l’absorption, la ghettoïsation, ou au contraire l’émancipation et l’égalité des droits, elles avaient toutes échouées parce qu’elles ne prenaient pas en compte la dimension « biologique » du problème. Verschuer déclarait que « le défi politique du présent [était] une nouvelle solution globale du problème juif ».[179] Et résoudre le « Problème Juif » de manière biologique, signifiait – poussé au bout de sa logique – que les Juifs devaient cesser d’exister biologiquement sur le continent européen. Pour cela, il y avait deux méthodes principales : les empêcher de se reproduire (stérilisation de masse) ou les éliminer physiquement, enfants compris.

Face à l’échec de la raciologie classique pour identifier les Juifs, les autorités s’étaient rabattues sur une définition généalogique. Les personnes avec des origines juives étaient classées en plusieurs catégories et traitées de manière extrêmement différente selon la catégorie à laquelle ils appartenaient. Ceux qui avaient 3 ou 4 grands-parents juifs étaient définis comme « Juifs » ou « Juifs complets » (« Volljuden ») ; ceux qui avaient 2 grands parents juifs sur 4 appartenaient à la catégorie des « métis juifs du 1er degré » ; ceux qui avaient un seul grand-parent juif étaient désignés comme « métis juifs du 2e degré ». À partir de 1941, les « Juifs complets » sont promis à l’extermination et diverses solutions sont envisagées par les experts raciaux durant le régime pour les deux catégories de « métis », dont l’absorption totale dans la population allemande, le célibat forcé, la stérilisation, l’extermination ou le traitement au cas par cas après examen racial.[180]

Le statut juridique de la plupart des Juifs pouvait être établi grâce aux documents d’état-civil, les registres des communautés juives, les registres municipaux, et d’autres documents officiels. C’est pour cela que les services spécialisés du régime, dont le Reichssippenamt (Office de la Généalogie du Reich), se saisissaient de tous les registres possibles, y compris dans les pays conquis. Les « Allemands de souche », eux, démontraient leur origine purement germanique en allant puiser dans les registres de baptêmes, à la génération de leur grands-parents et au-delà s’ils voulaient adhérer à la SS. Néanmoins, dans certains cas, ces documents officiels pouvaient faire défaut ou l’origine de certaines personnes pouvait être incertaine si l’identité du père biologique n’était pas claire. Et dans ces cas là, la discipline apparemment inutile de la génétique des caractères humains « normaux » (c’est-à-dire non pathologiques), pratiquée par les adeptes de la « biologie raciale » et de la « génétique raciale », prenait toute sa portée.

En effet, la raciologie classique et ses méthodes genre craniométrie héritées du XIXe siècle étaient considérées comme un peu dépassée par les biologistes raciaux et généticiens humains les plus en pointe. Ce que Eugen Fischer et Wolfgang Abel à Berlin, Karl Saller à Göttingen, Walter Scheidt à Hambourg, Johann Schäuble à Fribourg, Lothar Loeffler à Königsberg, ou Josef Weninger à Vienne, enseignaient à l’université n’avait que peu à voir avec la raciologie à la Günther. Ils avaient fondé ou s’étaient reconvertis dans les nouvelles approches de la génétique humaine dans son versant « racial ». Ils étudiaient, caractère morphologique après caractère morphologique, la transmission héréditaire du moindre détail de l’anatomie humaine, depuis la forme du pavillon de l’oreille, à celle des narines vues par en-dessous, en passant par le sens de rotation de l’épis des cheveux, la structure de l’iris de l’oeil ou la façon dont les caractères raciaux se manifestent à l’âge embryonnaire. Toutes ces études, apparemment fastidieuses et inutiles, servaient deux objectifs. L’un idéologique : démontrer que la « race », en l’occurrence les caractères raciaux, n’était pas une apparence éphémère immédiatement déterminée par le milieu (comme le disaient les environnementalistes), mais relevait de l’ordre d’une nature durable, quasi-permanente, transmise de génération en génération, par l’hérédité. L’autre, avait une application pratique immédiate. Depuis les années 1920, les anthropologues, généticiens humains et spécialistes des groupes sanguins servaient d’experts dans les tribunaux lors des procès en paternité (pour déterminer si tel ou tel homme devait payer la pension alimentaire). Ils utilisaient des tests sanguins (pour exclure certains hommes de la paternité si leur groupe sanguin était incompatible avec celui de l’enfant, compte tenu de la mère), puis une comparaison biométrique de la morphologie des parents et de l’enfant associée à une comparaison numérisée des empreintes palmaires et digitales. La même méthode exactement a été reprise sous le IIIe Reich pour les « Certificats raciaux » en réalité appelés « Certificats génétiques d’origine et de race » (erbbiologischen Abstammungs- und Rassengutachten). Les anthropologues et généticiens humains en produisaient une quantité importante qui occupaient une partie significative de leur temps de travail.

Un citoyen allemand classé comme « Juif » (et qui perdait par cela même la pleine citoyenneté allemande) ou « métis juif » pouvait porter son cas devant un tribunal ou devant l’Office de la Généalogie du Reich, contester son statut et revendiquer le statut d’« Allemand ou de sang apparenté ». Si le tribunal ou l’Office de la Généalogie du Reich ne pouvaient dénouer l’histoire à l’aide des moyens conventionnels, alors la personne, son père putatif, celui étant déclaré comme son père biologique, et sa mère étaient convoqués (s’il étaient encore vivants et présents sur le sol allemand, sinon la personne devait apporter des photos) devant un expert anthropologue ou généticien humain. Celui-ci réalisait alors un « certificat génétique de paternité et d’origine ». Il procédait à des tests sanguins, puis à un examen anthropométrique et biométrique détaillé, ainsi qu’à une comparaison des empreintes digitales et palmaires et de la structure de l’iris de l’œil. À partir des résultats, il devait évaluer, avec des degrés de probabilité différents, les hommes présentés et déterminer ceux dont la paternité devait être exclue ou au contraire semblait très vraisemblable. Outre le certificat de paternité proprement dit – qui permettait indirectement d’établir le statut racial de la personne – l’expert pouvait aussi procéder à un examen anthropologique et relever la présence ou non de caractères « juifs » de la « race proche orientale » ou « orientale ». Des milliers de cas contestés furent ainsi décidés par des experts, dont la quasi-totalité étaient professeurs d’université. La plupart enseignaient également la génétique humaine, l’hygiène raciale ou la raciologie et figurent dans le tableau 2 (par exemple pour la seule ville de Berlin : E. Fischer puis, à partir de 1942, O. von Verschuer de l’IKW d’anthropologie, W. Abel de l’Institut de Biologie raciale, F. Lenz de l’Institut d’Hygiène raciale de l’Université, et F. Curtius du Département des pathologies héréditaires de la 1ère Clinique médicale de la Charité).[181] Ainsi, la science de la « génétique raciale » ou de la génétique des caractères morphologiques « normaux » (de la forme des oreilles ou du nez), qui a connu un grand essor en Allemagne et en Autriche dans les années 1920-1930, doit une bonne partie de son développement scientifique au fait qu’elle permettait de classer les hommes, d’abord dans les tribunaux pour les procès en paternité assez courant à l’époque, puis pour la politique raciale nazie. Les travaux de « génétique raciale » les plus en pointe des années 1940, comme ceux de la biologiste Karin Magnussen sur la structure et la pigmentation de l’iris de l’oeil, associant génétique, embryologie, physiologie du développement et biochimie, devaient servir à fournir des techniques de diagnostic racial indirect de plus en plus fines et de plus en plus fiables.[182]

Dans le cas des « Tziganes», également, le premier travail des « Crimino-biologistes » (Kriminalbiologen) psychologues, psychiatres, pédagogues et anthropologues, regroupés autour de Robert Ritter fut de classer les quelques 30 000 « Tziganes » recensés par la police en Allemagne et en Autriche.[183] L’équipe du Dr. Dr. Robert Ritter (il était deux fois docteur), un pédadogue, médecin, avec une thèse de génétique humaine et une formation en psychiatrie infantile et juvénile, promu directeur du « Centre de Recherche en Hygiène Raciale et Biologie de la Population », puis du « Centre de Recherche en Hygiène Raciale et Biologie du Crime » de l’Office de la Santé du Reich, fut chargée de déterminer le statut de chaque « Tziganes » afin de décider de son « traitement ».[184] Ils déterminèrent qu’il n’y avait parmi eux que 1800 Roms et 500 Lalleri ethniquement purs. Sintis, Lovari, Kelderari, Drisari et Gitans authentiques n’étaient qu’une minorité. Sinon 90% des « Tziganes » étaient en fait des « métis tziganes », la plupart « avec des éléments asociaux et héréditairement inférieurs ». Et 9% des « Tziganes » n’avaient en fait aucun antécédent racial « tzigane ». Il s’agissait de lignées allemandes nomades et de leurs descendants qui n’avaient en commun avec les « Tziganes » que les roulottes.

Selon la « Criminobiologie », le crime, chez une partie significative des criminels, était un comportement déviant, une « pathologie » médicale et psychiatrique, d’origine biologique et qui pouvait être traité par les outils prophylactiques de la science médicale la plus moderne.[185] Une grande partie des criminels et « asociaux » devaient leur comportement déviant à une « personnalité anti-sociale » et une « faiblesse d’esprit » inscrites dans une mauvaise hérédité. Il ne servait à rien de les punir et de les mettre en prison, car cela ne pouvait corriger leurs penchants héréditaires, qu’ils transmettaient à leurs descendants. Des psychiatres généticiens comparaient des jumeaux, dont l’un au moins avait été condamné par la justice, pour déterminer la part de l’hérédité dans leur comportement criminel et en concluait que celui-ci était inscrit dans le « destin » génétique de l’individu.[186] Les eugénistes collectaient les arbres généalogiques de familles « dégénérées » qui à chaque génération produisaient leur lot d’alcooliques, de criminels, vagabonds, prostituées, aliénés mentaux, attardés mentaux, clochards, et « asociaux » de toute sorte (personnes vivant à vie aux crochets du système de protection sociale, psychopathes anti-sociaux, marginaux, femmes de mauvaise vie, etc.). Tous ces « inférieurs » coûtaient très cher à la société. Si l’origine du comportement criminel était biologique, alors « nous sommes en mesure d’empêcher, au moins en partie, l’apparition de nouveaux criminels. Et ainsi nous avons trouvé un moyen de lutter contre la criminalité – dans la mesure où elle d’origine héréditaire – à la racine, c’est-à-dire de manière radicale ».[187] Et le « problème » de la criminalité et du comportement « asocial » ne pouvait être traité de façon définitive que de manière biologique (donc par l’éradication biologique des mauvaises hérédités et éventuellement de leurs porteurs). L’une des missions prioritaires de la Kriminalbiologie était de « rechercher, si elle trouvait des caractéristiques chez des individus qui permette au connaisseur de reconnaître les criminels en tant que tels précocement, c’est-à-dire déjà avant qu’ils ne soient engagés dans leur carrière criminelle ».[188] La fonction de la Kriminalbiologie était ainsi de classer les criminels, en distinguant ceux qui étaient héréditaires de ceux qui devaient leur non respect de la loi à un malheureux concours de circonstance, de pronostiquer leur comportement futur et d’opérer une sélection.

La même solution s’imposait dans le cas des « Tziganes » qualifiés en bloc par le Dr. Ritter de « groupe de population asocial et criminel ». Leur comportement « asocial », nomade et criminel découlait, selon les crimino-biologistes, de leurs « dispositions héréditaires inférieures », venues en bonne partie d’une constitution raciale assez « primitive » des « Tziganes » proprement dits, combinée avec les « mauvaises hérédités » des milieux « asociaux » et criminels allemands avec lesquels ils avaient frayé. Il fallait avant tout identifier, classer et diagnostiquer : « La recherche en biologie raciale sur les Tziganes est la condition impérative pour une solution hygiéniste raciale à la Question tzigane ».[189] Il ne faudrait pas croire que seuls les Allemands avaient ce type de théorie sur les « Tziganes ». En France, dans la Revue neurologique publiée chez Masson, on rend compte des séances de la Société médico-psychologique, où MM. Delmond et Carrère parlent de « Psychopathie et criminalité dans quatre générations de tziganes d’Alsace ». Sur 4 générations et 81 individus, « 24 présentent des tares mentales et réactions criminelles ». Les deux spécialistes discutent des « facteurs ethniques » et des « mesures prophylactiques chirurgicales (stérilisation, eugénique) ou sociale (dispersion, éviction, fixation, adaptation) ».[190] Et effectivement, en Allemagne et en Autriche, sur la base de ces diagnostics, le Dr. Ritter et ses assistants produisirent environ 20 000 demandes de stérilisation pour les « métis tziganes asociaux ». Une minorité de Sintis, Roms et de quelques clans considérés comme « purs » furent épargnés, les autres furent stérilisés ou exterminés. Comme le disait le Dr. Ritter en 1941 dans la revue Le service de la santé publique avec un article sur « Le recensement des Tziganes et métis tziganes en Allemagne », la mission de ce recensement classificatoire était de « créer les conditions pour ces mesures ».[191]

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En somme, si l’on fait le bilan de la politique eugéniste et raciale nazie, il s’agit à chaque fois de recenser, de localiser, d’identifier, de mettre en fiche[192], pour classer, puis sélectionner. Classer les malades héréditaires et non héréditaires, les « asociaux » et criminels « héréditaires » et « non héréditaires », les homosexuels « congénitaux » ou « occasionnels », les patients psychiatriques curables et incurables, productifs et improductifs, les métis de couleur, les « métis tziganes » en ZM+ et ZM-, les Juifs et « métis juifs », les Polonais de « race nordique » ou de « race inférieure », etc. Le destin de millions de personnes en Allemagne d’abord, puis en Europe, a dépendu de ces classifications. Le nazisme a connu une débauche de classifications sur la base de critères médicaux et biologiques. Il a été l’apogée baroque à l’ère moderne, jusqu’à l’écoeurement sanguinaire, de la classification humaine. Ensuite, sur la base de ces classifications, les médecins et experts sélectionnaient. « Race », « Hérédité », « Sélection » : telle était la devise qui aurait dû figurer au fronton des bâtiments publics. Classer et sélectionner était surtout le travail de médecins et anthropologues, mais aussi d’autres experts venus des sciences humaines (psychologie, pédagogie, etc.). Pour la très grande majorité, ils avaient été formés à la classification dans les universités et les formateurs de ceux qui ne l’avaient pas été, venaient eux, du milieu universitaire. Les milieux universitaires, en particulier les médecins, mais pas seulement eux, ont donc joué un rôle essentiel dans la politique raciale et eugéniste nazie. On a l’habitude de se concentrer sur quelques figures particulièrement marquantes de la « raciologie » ou de « l’hygiène raciale » nazie – points névralgiques sur lesquels nous pensions pouvoir articuler tout ce qui s’est passé. Nous savons pourtant que c’est matériellement impossible. Ici, ce que nous découvrons, ce sont des centaines d’universitaires qui forment des milliers d’experts qui décident du destin de millions de gens. Qui est le plus responsable, le jeune médecin de 26 ans, fraîchement diplômé et membre idéaliste du Parti nazi, qui participe à l’euthanasie des schizophrènes chroniques de son asile, ou sélectionne racialement les Polonais, ou celui qui l’a formé à penser que ce qu’il fait est « bien » ? En 1946, Franz Weidenreich, l’anthropologue juif de Francfort qui avait dû fuir l’Allemagne nazie, écrivit une lettre ouverte au magazine Science, au sujet d’Eugen Fischer, le leader scientifique incontesté de l’anthropologie raciale allemande depuis le milieu des années 1920. La conclusion de sa lettre était : « Si quelqu’un doit l’être, c’est lui qui devrait être mis sur la liste des criminels de guerre ».[193]

Dans son livre Émergence et évolution d’un fait scientifique (1935), le célèbre épistémologue et bactériologue judéo-polonais (déporté à Auschwitz, puis à Buchenwald), Ludwik Fleck (1896-1961) distinguait trois types de science au sein de la science : la science des revues scientifiques spécialisées (Zeitschriftenwissenschaft), la science des manuels scientifiques (Handbuchwissenschaft) et la science de la vulgarisation scientifique (populäre Wissenschaft).[194] Selon sa classification, la « science des manuels » ou telle qu’elle est délivrée en cours magistraux aux étudiants, relève en grande partie d’un système de croyance. Il est clair que dans les amphithéâtres des universités, lorsqu’il s’agit de science et de médecine, on ne demande pas aux étudiants de vérifier expérimentalement ou de soumettre au principe poppérien de la falsifiabilité le savoir qu’on leur délivre. On leur demande de l’ingurgiter, de le mémoriser, de le régurgiter à l’identique le jour de l’examen et d’y croire. Le critère qui, à une époque donnée, décide du statut « science » ou « pseudo-science », d’une théorie dépend avant tout de l’attitude de la communauté scientifique, laquelle peut varier à 180° ou s’emballer dans des effets de mode. La contingence historique et culturelle des classifications est encore plus flagrantes, de même que l’immensité des fluctuations possibles entre le « normal » et le « pathologique », non seulement d’une culture à l’autre et d’une époque à l’autre, mais même parfois d’une décennie à l’autre. Selon l’historien de la médecine d’origine allemande Ackerknecht l’étiquetage psychopathologique est un « ersatz moderne des normes morales et des jugements de valeur »[195]. Si l’on se situe dans cette perspective que « science peut varier », le fait que la raciologie – dont les classifications sont abandonnées par la science d’aujourd’hui – ou l’eugénisme – mélange de savoir scientifique pas toujours très assuré, de normes sociales historiquement contingentes et de projet de gestion de la société sur des bases génétiques – aient été très à la mode dans les années 1920-1930 et enseignés pendant des décennies dans les universités de plusieurs pays, dont l’Allemagne, la Suisse ou les Etats-Unis, n’a donc rien d’étonnant. La communauté scientifique, en Allemagne et dans plusieurs autres pays, considérait qu’il s’agissait de science sérieuse. Cette science qui voulait réduire la complexité des gens à des catégories biologiques, et l’être humain, à un destin inscrit dès la naissance dans son hérédité, s’est révélée particulièrement létale. La leçon mérite sans doute réflexion.

[1] H. Poll (né Pollack, 1877-1939), « Über Vererung beim Menschen », Die Grenzboten, 73, 1914, pp.247-259, cit. p.308. La revue Genzboten est une revue de réflexion, non médicale.

[2] Cf. H. van den Bussche, F. Pfäfflin & C. Mai, « Die Medizinische Fakultät der Hamburger Universität und das Universitätskrankenhaus Eppendorf », in E. Krause, L. Huber & H. Fischer (éd.), Hochschulalltag im ‘Dritten Reich‘. Die Hamburger Universität 1933-1945, Hambourg, Dietrich Reimer, Hamburger Beiträge zur Wissenschaftsgeschichte, n°3, 1991, vol. 3, pp. 1259-1384, cit. pp.1262 & 1304-1306.

[3] A. Ebbinghaus, H. Kaupen-Haas, K.H. Roth (éds.), Heilen und Vernichten im Mustergau Hamburg. Bevölkerungs- und Gesundheitspolitik im Dritten Reich, Hambourg, Konkret Literatur, 1984, p. 113.

[4] American Philosophical Society, Philadelphie, Fonds Franz Boas, correspondance Poll-Boas.

[5] Cit. in Benno Müller-Hill, Science nazie, science de mort. L’extermination des Juifs, des Tziganes et des malades mentaux de 1933 à 1945, Paris, Odile Jacob, 1989, p.23.

[6] Cf. V. Deneke, « 1872-1972 : Einhundert Jahre Deutsches Ärzteblatt », Deutsches Ärzteblatt, 1972, pp. 2740, 2819-2820, 2901-2902, 2975-2976, 3043-3044, 3101-3102, 3243-3244, 3299-3300, 3373-3374, 3429-3430.

[7] Ce silence médical au sujet de la période nazie se trouve encore dans des ouvrages très récents, dont certains publiés en France. C’est ce que fait par exemple le contributeur autrichien dans la Nouvelle histoire de la psychiatrie en plus de 600 pages sous la direction de Jacques Postel et Claude Quetel (Dunod, 1996, pp.457-464). Cet auteur, le Pr. Peter Berner, professeur de psychiatrie à la retraite de l’Université de Vienne, saute allègrement du 19e siècle à la « situation actuelle », ce qui lui permet d’éviter le sujet très incommodant de la période nazie. En revanche, il semble trouver tout à fait normal de citer comme l’une des neuf références bibliographiques le Pr. Friedrich Panse, un psychiatre militant actif de la politique eugéniste nazie et un expert de l’opération d’euthanasie T4 (voir plus loin dans cet article).

[8] Deneke, lui-même non médecin, était également rédacteur en chef d’une revue du Bund Deutscher Osten, une ligue militant pour la colonisation germanique dans les territoires slaves. Dossier « Deneke » Search BDC-Search. Cf.aussi M. Kater, « The Burden of the Past : Problems of a modern historiography of Physicians and Medicine in Nazi Germany », German Studies Review, 10, 1987, pp.31-56, pp.33-34.

[9] Voir Michael H. Kater, « Medizin und Mediziner im Dritten Reich », Historische Zeitschrift, 1987 (244: 2): 299-352, 315. Cela sans compter les organisations nazies « secondaires » et « tertiaires ». B. Massin, préface aux deux volumes de L’Hygiène de la Race, vol.1 de Paul Weindling, L’Hygiène de la Race. Eugénisme médical et Hygiène raciale en Allemagne, 1870-1933, La Découverte, 1998.

[10] Sur l’attitude après 1945 de la profession médicale allemande par rapport à sa propre histoire, voir M.H. Kater, « The Burden of the Past : Problems of a modern historiography of Physicians and Medicine in Nazi Germany », German Studies Review, 10, 1987, pp.31-56 ; B. Laufs, « Vom Umgang der Medizin mit ihrer Geschichte », in G. Hohendorf & A. Magull-Seltenreich (éds.), Von der Heilkunde zur Massentötung. Medizin im Nationalsozialismus, Heidelberg, Wunderhorn 1990, pp. 233-253 ; C. Pross, « Nazi doctors, German Medicine, and Historical Truth », in G. J. Annas & M. A. Grodin (éds.), The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rights in Human Experimentation, Oxford University Press. 1992, pp. 32-52.

[11] Il y a eu 23 accusés à ce procès, dont 20 étaient médecins. Sur le procès voir : G. J. Annas & M. A. Grodin (éds.), The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rights in Human Experimentation, New York-Oxford, Oxford University Press. 1992 ; Angelika Ebbinghaus & Klaus Dörner (éds.), Vernichten und Heilen. Der Nürnberger Ärteprozess und seine Folgen, Berlin, Aufbau, 2001 ; Le Monde juif. Revue d’Histoire de la Shoah. 1946-1996 « Le Procès des Médecins à Nuremberg. Éthique, responsabilité civique et crimes contre l’humanité », UNESCO, Paris, 1996. Vol. 7-8 décembre 1996 – Hors série & Vol. N°160, Mai-août 1997, Centre de Documentation Juive Contemporaine.

[12] Je me fonde sur une longue étude que j’avais faite et non publiée sur la façon dont l’histoire de la médecine sous le nazisme a été écrite depuis 1945 et les enjeux sociaux et politiques qui expliquent la forme et le niveau quantitatif de la production dans ce domaine : « Le IIIe Reich : une « biocratie »? Les nouvelles tendances de la recherche historiographique sur le rôle des sciences bio-médicales. Orientation bibliographique. 1ère partie: médecine et psychiatrie » dont seul un extrait (de 25 pages sur 220) a paru dans le n° 25 de déc. 1992 du Bulletin de la Mission Historique Française en Allemagne, pp.53-78.

[13] Deneke, « 1872-1972 : Einhundert Jahre Deutsches Ärzteblatt », p.3100.

[14] Sur l’histoire de l’eugénisme en Allemagne, voir notamment : Paul Weindling, Health, Race and German Politics between National Unification and Nazism 1870-1945, Cambridge (UK), Cambridge UP, 1989 ; trad. française, Paul Weindling, L’Hygiène de la Race. Eugénisme médical et Hygiène raciale en Allemagne, 1870-1933, les 2 volumes sous la direction de B. Massin, La Découverte, 1998 ; Peter Weingart, Jürgen Kroll & Kurt Bayertz, Rasse, Blut und Gene. Geschichte der Eugenik und Rassenhygiene in Deutschland, Francfort, 1988 (sera en vol.2 de L’Hygiène de la Race); Robert Proctor, Racial Hygiene. Medecine under the Nazis, Cambridge, Mass., Harvard U.P 1988 ; Sheila Weiss, « The race hygiene movement in Germany », Osiris, 3, 1987, pp. 193-236.

[15] Voir le chapitre 14: « L’Hygiène de la Race. Eugénisme et anthropologie » in B. Massin, Le savant, la race et la politique. La conversion de la « science de l’Homme » allemande à la « science de la race » (1890-1914). Histoire politique d’une discipline scientifique» et contribution à l’étude des origines du racisme nazi, Th.D., EHESS (Paris), 2003xxx dans B. Massin, Th.D.

[16] Idem note 15, in B. Massin, Le savant, la race et la politique.

[17] Voir T. Bastian, Von der Eugenik zur Euthanasie. Ein verdrängtes Kapitel aus der Geschichte der Deutschen Psychiatrie, Bad Wörishofen, Verlagsgemeinschaft Erl, 1981. Et ce déjà avant 1914 : cf.. G. U. Jerns, Die neurologisch-psychiatrischen Vorträge in der Abteilung für Neurologie und Psychiatrie der Gesellschaft Deutscher Naturforscher und Ärzte von 1886 bis 1913, Th. D. Méd. FU Berlin, 1991 ; T. P. Schindler, Psychiatrie im Wihelminischen Deutschland, Th. D. Méd. FU Berlin, 1990.

[18] Robert Gaupp, Die Unfruchtbarmachung geistig und sittlich Kranker und Minderwertiger : erweitertes Referat, erstattet auf der Jahresversammlung des Deutschen Vereins für Psychiatrie am 2. September 1925 in Kassel, Berlin, Springer, 1925.

[19] Pour la question de la stérilisation eugénique en Allemagne nazie, l’ouvrage le plus complet reste celui de Gisela Bock, Zwansgsterilisation im Nationalsozialismus. Studien zur Rassenpolitik und Frauenpolitik, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1986. En français, voir Benoit Massin, «Stérilisation et contrôle médico-étatique des naissances en Allemagne nazie (1933-1945). La mise en pratique de l’Utopie biomédicale ». In : A. Giami & H. Leridon (éds.), Les enjeux de la Stérilisation, INSERM, collection « Questions en Santé Publique », Paris, 2000, pp.63-122.

[20] Gisela Bock parle de la moitié des médecins des EGG qui seraient des psychiatres (Bock, Zwansgsterilisation im Nationalsozialismus, p.193). Les listes nationales dont je dispose (BAL R1501/1, N° 26252) ne signalent jamais l’appartenance disciplinaire des médecins et rarement leur appartenance institutionnelle. En revanche, certaines listes locales fournissent ces informations. Par exemple, si l’on prend une page au hasard des listes de 1933 du Ministère de l’Intérieur où figurent les membres de quatre Tribunaux de santé héréditaire (Darmstadt, Worms, Offenbach, Giessen), on trouve dans chaque tribunal un médecin travaillant en asile psychiatrique – que ce soit le directeur de l’asile ou le médecin-chef.. Voir BAL R1501/1, N° 26252, p. 154. Pour un exemple local de l’implication des psychiatres asilaires, voir : « Die Sterilisation am Philippshospital », in Isidor J. Kaminer, Psychiatrie im Nationalsozialismus. Das Philippshospital in Riedstadt (Hessen), Francfort / M., Mabuse-Verlag Wissenschaft 31, 1996, pp. 78-107.

[21] Voir Massin, «Stérilisation et contrôle médico-étatique des naissances en Allemagne nazie », INSERM.

[22] Michael H. Kater  « Doctor Leonardo Conti and his Nemesis : the failure of centralized medicine in the Third Reich », Central European History, 18 (1985), pp. 299-325 ; Ernst-Alfred Leyh, « Gesundheitsfuehrung », « Volksschicksal », « Wehrkraft » : Leonardo Conti (1900-1945) und die Ideologisierung der Medizin in der NS-Diktatur, Th.D. Heidelberg, 2002.

[23] Sur Eugen Fischer, voir le livre le plus complet mais un tout petit peu apologétique de Niels Lösch, Rasse als Konstrukt : Leben und Werk Eugen Fischers, Frankfurt/ Main, Lang, 1997.

[24] Dossier Creutzfeldt, UA Kiel. Par ailleurs, l’outil le plus pratique pour suivre la carrière académique des universitaires et scientifiques allemands est l’annuaire Kürschners Deutscher Gelehrten-Kalender, qui en était à sa 10e édition en 1966.

[25] Ernst Klee, Deutsche Medizin im Dritten Reich. Karrieren vor und nach 1945, Francfort / M., S. Fischer, 2001, p. 294.

[26] K. Bonhoeffer et al (éds.), Die Erbkrankheiten. Klinische Vorträge im 2. erbbiologischen Kurs Berlin, März 1936, Berlin, S. Karger, 1936.

[27] H. G. Creutzfeldt, « Epilepsie », in K. Bonhoeffer et al (éds.), Die Erbkrankheiten., pp.94-100.

[28] « Zur Ätiologie und Differentialdiagnose der Schizophrenie », Antwort, Prof. Dr. H. G. Creutzfeldt, Die Medizinische Welt, 26 sept. 1936, p. 1419.

[29] D’après « Verzeichnis der Vorsitzenden und deren Stellvertreter sowie der ärztlichen Mitglieder und deren Stellvertreter bei den Erbgesundheitsobergerichten », dans BAL R1501/1, N° 26252, pp.30-33.

[30] Pour plus de détails sur les méthodes de stérilisation, voir B. Massin, «Stérilisation et contrôle médico-étatique des naissances en Allemagne nazie », INSERM.

[31] H. Eymer, « Die Eingriffe zur Unfruchtbarmachung der Frau », in Arthur Gütt (éd)., Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses : vom 14. Juli 1933 nebst Ausführungsverordnungen, 2e éd. remaniée, Munich, J. F. Lehmann, 1936.

[32] Voir G. Bock, Zwansgsterilisation im Nationalsozialismus, p. 93-94.

[33] B. Spiethoff, « Das Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses », Mitteilungen der Deutschen Gesellschaft zur Bekämpfung der Geschlechtskrankheiten, 31 (1933), p.121.

[34] W. Fichtmüller, Dissertationen in den medizinischen Fakultäten der Universitäten Deutschlands von 1933-1945 zum Thema : « Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses von 14. Juli 1933 », Th.D. (méd.) Erlangen, 1972.

[35] Rüdin, cit. in Matthias M. Weber, Ernst Rüdin. Eine kritische Biographie, Berlin, Springer, 1993, p.129. Le sous-titre porte mal son nom, car cette biographie est bien peu critique !

[36] G. Bock, Zwansgsterilisation im Nationalsozialismus, pp.51-52.

[37] Pour toute la question de la mise en pratique de la stérilisation eugénique sous le nazisme, voir B. Massin, , «Stérilisation et contrôle médico-étatique des naissances en Allemagne nazie », INSERM.

[38] Voir à ce sujet mon travail non publié « Bilan de l’Histoire: Comment les historiens ont vu le rôle des sciences biomédicales sous le nazisme (1945-2000)? », Conférence internationale Transmission des savoirs et responsabilités des Universités. Nazisme, Vichy, conflits coloniaux et ethniques, Université Paris VII-Denis Diderot (Jussieu), 27-28 octobre 2000 ; « L’histoire de l’histoire … de la médecine nazie (1945-2003) », dans le cadre du séminaire organisé par Mme la Pr. Henriette Asseo, E.H.E.S.S., Paris, 27 Janvier 2004

[39] Michael H. Kater, Doctors under Hitler, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1989.

[40]  Ernst Klee, « Ein Medizinhistoriker als ‘Diener’ eines Nazitäters », in Klee, Deutsche Medizin im Dritten Reich. Karrieren vor und nach 1945, Francfort / Main, S. Fischer, 2001, pp. 293-298.

[41] « The quintessential novelty as a pseudo-discipline permeating the medical schools after January 1933 […] was Rassenkunde, or race hygiene, also often referred to as «eugenics», the main ingredient of which was, of course, the premise of the National Socialist doctrine » (p. 111). « The established medical schools were reluctant to accept Rassenkunde as a serious discipline. But after Hitler’s ascension to power this situation was to change, if not overnight » (p. 114). Notons la confusion sémantique pratiquée par Kater entre « eugénisme » et « Rassenkunde ». Kater, Doctors under Hitler, 1989.

[42] En Angleterre, la 1ère chaire d’eugénique a été créée en 1907.

[43] Voir Maria Günther, Die Institutionalisierung der Rassenhygiene an den deutschen Hochschulen vor 1933, Th.D. méd., 1982.

[44] Pour le nom des titulaires de chaire, discipline médicale par discipline et université par université, cf. Hans-Heinz Eulner, Die Entwicklung der medizinischen Spezialfâcher an den Universitäten des deutschen Sprachgebietes, Stuttgart, F. Enke, 1970.

[45] Maria Günther, Die Institutionalisierung der Rassenhygiene an den deutschen Hochschulen vor 1933, Th.D. méd. Mayence, 1982, pp. 76-79.

[46] Jacques Lambert, « Hygiène », in Dominique Lecourt (éd.), Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, 2004, pp.604-609.

[47] Alfons Labisch, Homo Hygienicus.Gesundheit und Medizin in der Neuzeit, Francfort, Campus, 1992 ; Lion Murard & Patrick Zylberman, L’hygiène dans la République. La santé publique en France ou l’utopie contrariée, 1870-1918, Fayard, 1996 ; Pierre Darmon, L’homme et les microbes, XVIIe-XXe siècle, Fayard, 1999.

[48] Georg Lilienthal, « Rassenhygiene im Dritten Reich. Krise und Wende », Medizinhistorisches Journal, 14, 1979, pp. 114-134.

[49] A. Grossmann, 1984, The new woman, the new family, and the rationalization of sexuality: the sex reform movement in Germany, 1928 to 1933, Th.D. Rutgers University, New Brunswick ; Weingart, Kroll, Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988 ; Anna Bergmann, Die verhütete Sexualität. Die medizinische Bemächtigung des Lebens, Berlin, Aufbau Taschenbuch, 1998 ; Gabriele Czarnowski, Das kontrollierte Paar. Ehe- und Sexualpolitik im Nationalsozialismus, Weinheim, Deutscher Studien, 1991.

[50] Il comprenait à sa fondation six départements : deux d’Histopathologie, l’un (I) dirigé par Franz Nissl, l’autre (II) par Walter Spielmeyer, un de sérologie dirigé par Felix Plaut, un d’Histotopographie dirigé par Korbinian Brodmann, celui de Rüdin, et un département de psychologie expérimentale et de clinique dirigé ensemble par Kraepelin et Johannes Lange. Pour plus de détails, voir M. Weber, Ernst Rüdin. Ein kritische Biographie, Berlin & Heidelberg, Springer, 1993, pp.114-124 ; D. Blasius, « ‘Ein Forschungsinstitut für Psychiatrie …’. Die Entwicklung der Deutschen Forschungsanstalt für Psychiatrie in München zwischen 1917 und 1945 », Sudhoffs Archiv, 1991, 75: 74-89.

[51] Sur Hirschfeld, voir Liliane Crips, Magnus Hirschfeld (1868-1935), un eugéniste social-démocrate », L’homme et la société, 1988/1, 87: 104-114.

[52] Voir liste des membres, Fds Lenz Mitgliederliste 1910 & 1913, in B. Massin, Le savant, la race et la politique, Th.D., p.832.

[53] Voir aussi Stefan Kühl, Die Internationale der Rassisten. Aufstieg und Niedergang der internationalen Bewegung für Eugenik und Rassenhygiene im 20. Jahrhundert, Frankfurt / M., Campus, 1997.

[54] Sur Lapouge, voir l’article de P.-A. Taguieff dans ce numéro et, pour sa réception comparée en Allemagne et en France, mon article : B. Massin, « L’Anthropologie raciale comme fondement de la Science politique: Vacher de Lapouge et l’échec de l’ »anthroposociologie » en France ». In Cl. Blanckaert (éd.), Les Politiques de l’Anthropologie. Discours et pratiques en France (1860-1940), Paris, L’Harmattan, Collection « Histoire des Sciences Humaines », 2002, pp. 269-334. Sur Ammon et l’anthroposociologie en Allemagne, voir Chap. 10: « La vogue des « théories raciales modernes » » & Chap. 15: « Rejet et intégration des théories raciales dans l’anthropologie allemande », in B. Massin, Le savant, la race et la politique, Th.D.

[55] Uwe Hoßfeld, « Die Jenaer Jahre des « Rasse-Günther » von 1930 bis 1935 », Medizinhistorisches Journal, 34, 1999, pp. 47-103

[56] Ilse Schwidetzky, « Die institutionelle Entwicklung der Anthropologie »; « Die inhaltliche Entwicklung der Anthropologie »; in I. Spiegel-Rösing, I & I. Schwidetzky, Maus und Schlange. Untersuchung zur Lage der deutschen Anthropologie, Munich, 1982, pp. 75-200.

[57] Hans-Peter Kröner, Von der Rassenhygiene zur Humangenetik : das Kaiser-Wilhelm-Institut für Anthropologie, menschliche Erblehre und Eugenik nach dem Kriege, Stuttgart, Fischer, 1998.

[58] Mitchell Ash, « Die erbpsychologische Abteilung am Kaiser-Wilhelm-Institut für Anthropologie, menschliche Erblehre und Eugenik (1935-1945) ». In: L. Sprung & W. Schönpflug (ed.), Zur Geschichte der Psychologie in Berlin, Frankfurt, Peter Lang, 1992.

[59] Cf. Benoit Massin, « Rasse und Vererbung als Beruf. Die Hauptforschungsrichtungen am Kaiser-Wilhelm-Institut für Anthropologie, menschliche Erblehre und Eugenik im Nationalsozialismus ». In: H.-W. Schmuhl (éd.), Rassenforschung an Kaiser-Wilhelm-Instituten, Göttingen, Wallstein, 2003, pp. 190-244 ; idem, « Mengele, die Zwillingsforschung und die Auschwitz-Dahlem Connection ». In : C. Sachse (éd.), Die Verbindung nach Auschwitz. Biowissenschaften und Menschenversuche an Kaiser-Wilhelm-Instituten, Göttingen, Wallstein, 2003, pp.201-254

[60] Voir sur l’IKW d’Anthropologie, outre mes deux articles signalés, Niels Lösch, Rasse als Konstrukt : Leben und Werk Eugen Fischers, Europäische Hochschulschriften, Francfort / M., P. Lang, 1997; Hans-Walter Schmuhl, Grenzüberschreitungen. Das Kaiser-Wilhelm-Institut für Anthropologie, menschliche Erblehre und Eugenik, 1927-1945, Göttingen, Wallstein, 2005, pp.264-268. Toutefois, l’ouvrage de Niels Lösch a tendance à être un peu apologétique pour Eugen Fischer ; quant à l’ouvrage de Hans-Walter Schmuhl, assez complet, il a la fâcheuse tendance à ne pas citer ou rendre crédit aux autres historiens dont il s’inspire (en particulier mes travaux) et parfois à frôler le plagiat.

[61] F. von wettstein, « Die erbbiologischen Grundlagen der Rassenhygiene », in : E. Rüdin (éd.), Erblehre und Rassenhygiene im völkischen Staat, Munich, 1934, pp.22-34.

[62] Voir Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988, traduction française, L’hygiène de la race, vol.2, par Françoise Willmann, à paraître à La Découverte, sous la direction de Benoit Massin.

[63] Michael H. Kater, Das « Ahnenerbe » der SS : 1935 – 1945 ; ein Beitrag zur Kulturpolitik des Dritten Reiches, 2e éd. Munich, Oldenbourg, 1997.

[64] Cit. in Matthias Weber, Ernst Rüdin. Eine kritische Biographie, Berlin-Heidelberg 1993, p. 189. Sur Siegfried Koller, voir Götz Aly & Karl-Heinz Roth, Die restlose Erfassung: Volkszählen, Identifizieren, Aussondern im Nationalsozialismus, Berlin 1984, pp. 96-115; et Helga Jakobi, Peter Chroust, Matthias Haman, Aeskulap & Hakenkreuz. Zur Geschichte der Medizinischen Fakultät in Gießen zwischen 1933 und 1945, Frankfurt /M., 1989, pp. 158-161.

[65] Paul Weindling, Epidemics and Genocide in Eastern Europe, 1890-1945, Oxford UP, 2000, p.231, 246-259.

[66] La « Ligue de Travail pour la Généalogie Autrichienne ». La branche locale de cette Ligue fusionne rapidement avec la Société eugéniste de Graz et, à l’échelle nationale, s’intègre à la « Ligue Allemande de Régénérescence du Peuple et de Génétique » (une société eugéniste concurrente de la Société d’Hygiène Raciale et qui fusionna avec celle-ci en 1931). Cf. W. Sauer, « Akademischer Rassismus in Graz », in Grenzfeste Deutscher Wissenschaft. Über Faschismus und Vergangenheitsbewältigung an der Universität Graz, Graz 1985, pp. 48-87, p. 74.

[67] K. J. Neumärker, Karl Bonhoeffer: Leben und Werk eines deutschen Psychiaters und Neurologen in seiner Zeit, Berlin- New York, Springer, 1990.

[68] H. Jasper, Maximilian de Crinis (1889-1945); eine Studie zur Psychiatrie im Nationalsozialismus, Husum, Matthiesen, Abh. z. Gesch. d. Med. u. d. Naturwiss., 63, 1991.

[69] Sur la biologie sous le nazisme, voir Ute Deichmann, Biologen unter Hitler. Vertreibung, Karrieren, Forschung, Frankfurt /M. Campus, 1992, pp.109, 113.

[70] Voir Peter Weingart, Doppel-Leben. Ludwig-Ferdinand Clauss : zwischen Rassenforschung und Widerstand, Francfort, 1995.

[71] Sur celui de Munich, voir Richard Wetzell, « Kriminalbiologische Forschung an der Deutschen Forschungsanstalt für Psychiatrie in der Weimarer Republik und im Nationalsozialismus ». In: H.-W. Schmuhl (éd.), Rassenforschung an Kaiser-Wilhelm-Instituten, Göttingen, Wallstein, 2003, pp. 68-98.

[72] F. von Neureiter, « Untergruppe L2: Kriminalbiologische Forschungsstelle », in H. Reiter (éd.), Das Reichsgesundheitsamt 1933-1939, Berlin, 1939: 355-356.

[73] Sur la castration des homosexuels et le rôle des médecins et scientifiques dans leur persécution, voir : Geoffrey J. Giles « « The Most Unkindest Cut of All »: Castration, Homosexuality and Nazi Justice », Journal of Contemporary History, 27, 1, 1992, pp. 41-61 ; Günther Grau (éd.), Homosexualität in der NS-Zeit. Dokumente einer Diskriminierung und Verfolgung, Francfort/M., Fischer Taschenbuch, 1993 ; Günter Grau, « « Unschuldige » Täter. Mediziner als Vollstrecker der nationalsozialistischen Homosexuellenpolitik », Mitteilungen der Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft, n°28, déc. 1998.

[74] Document reproduit in Grau (éd.), Homosexualität in der NS-Zeit, 1993, pp. 163-167.

[75] BDC, dossier Tirala, Lebenslauf, p.3; Weindling, Health, Race and German Politics 1989, pp. 509-511; Edouard Conte & Cornelia Essner, La quête de la race. Une anthropologie du nazisme, Hachette, 1995, pp. 130-131.

[76] Heidrun Kaupen-Haas, « Die Bevölkerungsplaner im Sachverständigenbeirat für Bevölkerungs- und Rassenpolitik », in : Heidrun Kaupen-Haas (éd.), Der Griff nach der Bevölkerung. Aktualität und Kontinuität nazistischer Bevölkerungspolitik, Nördlingen, Greno, 1986, pp. 103-120

[77] Voir Matthias Weber, Ernst Rüdin. Eine kritische Biographie, Berlin, Springer, 1993, pp.210.

[78] Pour le rôle de Rüdin dans l’euthanasie, voir les travaux de l’historien de la médecine Volker Roelcke, qui corrigent la vision assez apologétique de Matthias Weber qui cherche à dédouaner Rüdin de tout lien avec l’euthanasie: Volker Roelcke et al., «Erbpsychologische Forschung im Kontext der « Euthanasie » Neue Dokumente und Aspekte zu Carl Schneider, Julius Deussen und Ernst Rüdin». In: Fortschritte der Neurologie und Psychiatrie (66), 1998, pp.331-336; Volker, Roelcke, Gerrit Hohendorf & Maike Rotzoll, «Psychiatrische Genetik und « Erbgesundheitspolitik » im Nationalsozialismus : Zur Zusammenarbeit zwischen Ernst Rüdin, Carl Schneider und Paul Nitsche», in: Schriftenreihe der Deutschen Gesellschaft für Geschichte der Nervenheilkunde 6, 2000: 59-73 ; Volker Roelcke, «Psychiatrische Wissenschaft im Kontext nationalsozialistischer Politik und « Euthanasie ». Zur Rolle von Ernst Rüdin und der Deutschen Forschungsanstalt für Psychiatrie». In : Doris Kaufmann (éd.), Geschichte der Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft im Nationalsozialismus. Bestandsaufnahme und Perspektiven der Forschung, Göttingen, Wallstein, 2000, vol. 1 , pp.112-150.

[79] F. Kern, Stammbaum und Artbild der Deutschen und ihrer Verwandten. Eine kultur- und rassengeschichtlicher Versuch, Munich, 1927.

[80]K. Pohlisch, « Das Rheinische Provinzial-Institut für psychiatrisch-neurologische Erbforschung in Bonn », Der Erbarzt, 3, 1936, pp.1-11,cit. pp.1,2. Cit. dans la traduction française de Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988, par Françoise Willmann, L’hygiène de la race, vol.2, à paraître à La Découverte, sous la direction de Benoit Massin.

[81]BAK R96 I/2 : 1266. Cit. in Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988, traduction française par Françoise Willmann, à paraître à La Découverte, sous la direction de Benoit Massin.

[82] Ernst Klee, « Euthanasie » im NS-Staat. Die « Vernichtung lebensunwerten Lebens », Francfort, S. Fischer 1983, pp. 242, 421; Klee, Dokumente zur « Euthanasie », Francfort, Fischer Taschenbuch, 1985 ; Klee, Was sie taten – Was sie wurden. Ärztz, Juristen und andere Beteiligte am Kranken- oder Judenmord, Francfort/M., Fischer Taschenbuch, 1986, pp. 165-168.

[83] Klee, « Euthanasie » im NS-Staat, 1983, p. 175.

[84] F. von Mikulicz-Radecki & K. H. Bauer, Praxis der Sterilisierungsoperationen, 1936.

[85] BDC-Search, dossier Loeffler.

[86] L. Loeffler, Der Auslesegedanke als Forderung in der Medizin, 1936, p.14. Cit in Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988, traduction française par Françoise Willmann, à paraître à La Découverte, sous la direction de Benoit Massin.

[87] BDC, Masterfile Weidenreich, carte du REM.

[88] Nachlass F. Boas, American Philosophical Society (Philadelphie), E. Fischer an F. Boas, 27 Nov. 1928.

[89] F. Weidenreich, Rasse und Körperbau, Berlin, 1927; id., « Die physischen Grundlagen der Rassenlehre », in Rasse und Geist, Leipzig, 1932, pp. 5-27.

[90] Deux de ses trois filles furent déportées en camp de concentration et, rescapées, il ne réussit à les faire venir aux États-Unis qu’après 1945.

[91] Traduction française de Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988, par Françoise Willmann, à paraître à La Découverte, sous la direction de Benoit Massin.

[92] Klaus-Dieter Thomann, « Rassenhygiene und Anthropologie: Die zwei Karieren des Prof. Verschuers. » Frankfurter Rundschau, 115, 20 mai 1985, pp. 2-3.

[93]Archives de la ville de Francfort : Dossier 6603/18. Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988.

[94] Thomann, « Rassenhygiene und Anthropologie: Die zwei Karieren des Prof. Verschuers. » 1985, p. 3.

[95] O. von Verschuer, « Die Vaterschaftsgutachten des Frankfurter Universitâtsinstituts für Erbbiologie und Rassenhygiene. Ein vorläufiger überblick », Der Erbarzt, 9, 1941, pp.25-31.

[96] Peter Sandner, « Das Frankfurter « Universitätsinstitut für Erbbiologie und Rassenhygiene » : zur Positionierung einer « rassenhygienischen » Einrichtung innerhalb der « rassenanthropologischen » Forschung und Praxis während der NS-Zeit », in: « Beseitigung des jüdischen Einflusses … », édité pat le Fritz-Bauer-Institut, Francfort, 1999, pp. 73-100.

[97] BDC-Search, dossier H. Grebe, « Lebenslauf » 1944.

[98] O. von Verschuer, « Vier Jahre Frankfurter Universitäts-Institut für Erbbiologie und Rassenhygiene », Der Erbarzt, 1939, 6, pp. 57-64, p. 57s, 61. Weingart-Kroll-Bayertz, Rasse, Blut und Gene, 1988, traduction française par Françoise Willmann, à paraître à La Découverte, sous la direction de Benoit Massin.

[99] Cit. in Thomann, « Rassenhygiene und Anthropologie: Die zwei Karieren des Prof. Verschuers », 1985, p. 4

[100] BDC-Search, dossier H. Schade.

[101] BDC-Search, dossier H. Grebe.

[102] Cf. B. Massin xxx Mengele

[103] Voir aussi M. Pollack, « Une politique scientifique: le concours de l’anthropologie, de la biologie et du droit », in F. Bédarida (éd.), La politique nazie d’extermination, Paris, Albin Michel, Institut d’Histoire du Temps Présent, 1989, pp. 75-99.

[104] Benno Müller-Hill, « Selektion. Die Wissenschaft von der biologischen Auslese des Menschen durch Menschen », in N. Frei (éd.), Medizin und Gesundheitspolitik in der NS-Zeit, Oldenburg, 1991, pp.137-155, cit. p.137. Voir aussi, Benno Müller-Hill, Science nazie, science de mort, 1989.

[105] Robert Jay Lifton, The Nazi Doctors. Medical Killing and the Psychology of Genocide, NY, Basic Books, 1986, pp.163-179, p.187.

[106] M. Szöllösi-Janze, « Von der Mehlmotte zum Holocaust. Fritz Haber und die chemische Schädlingsbekämpfung während und nach dem ersten Weltkrieg », in J. Kocka, H.-J. Puhle & K. Tenfelde (éds.), Von der Arbeiterbewegung zum modernen Sozialstaat, Munich, 1994, pp.658-675 ; Sarah Jansen, « Männer, Insekten und Krieg. Zur Geschichte der angewandten Entomologie in Deutschland, 1900-1925 », Geschlechterverhältnisse in Medizin, Naturwissenschaft und Technik, Bassum, 1996 ; Sarah Jansen, Schädlinge, Geschichte eines Wissenschaftlichen und politischen Konstrukts 1840-1920, Francfort, Campus, 2003 ; P. Weindling, Epidemics and Genocide in Eastern Europe, 1890-1945, Oxford UP, 2000.

[107] Weindling, Epidemics and Genocide, pp.263-270

[108] Robert J. Lifton, The nazi Doctors. Medical Killing and the Psychology of Genocide, NY, Basic Books 1986, pp.180-192 (trad. fr. : Les médecins nazis, Paris, Laffont, 1986).

[109] Par exemple, Eugen Fischer dénonce l’emploi des « termes étrangers » fabriqués à partir de racines latines et grecques et préfère « Erblehre » à « Genetik ». Il propose que « Erblehre » se substitue à « Erblichkeitslehre » et « Vererbungslehre ». Cf. E. Fischer, « Erblehre – Erbklinik – Erbarzt », Der Erbarzt, 1934, n°1, p.3.

[110] La principale revue de génétique allemande, fondée en 1908, s’appelle d’ailleurs Zeitschrift für induktive Abstammungs- und Vererbungslehre (« Revue de science inductive de l’évolution et de science de l’hérédité »).

[111] Cf. Sheila Weiss, « Wilhelm Schallmayer and the Logic of German Eugenics », Isis, (77) 1986 : 33-46 ; ibid., Race Hygiene and National Efficiency. The Eugenics of Wilhelm Schallmayer, Berkeley, University of California Press, 1987.

[112] Sheila Weiss, « The Race Movement in Germany », Osiris, 1987, pp. 193-236, p.218.

[113] F. Galton, « Eugenics, its Definition, Scope and Aims », Nature, 70 (1904), p.82.

[114] C. A. Vandermonde, Essai sur la manière de perfectionner l’espèce humaine, 1756, cit. in Anne Carol, Histoire de l’eugénisme en France. Les médecins et la procréation, XIXe-XXe siècle, Seuil, 1995, p.19.

[115] Voir Daniel J. Kevles, In the Name of Eugenics. Genetics and the Uses of Human Heredity, University of California Press, 1985, pp.185-186.

[116] La circulaire secrète du Reichsärzteführer Gerhard Wagner du 13 septembre 1934 aux Offices de la santé du peuple dépénalise l’avortement si une « descendance héréditairement malade » est prévue. Une modification du 26 juin 1935 à la loi de stérilisation de 1933 prévoit que désormais les femmes enceintes lors de leur stérilisation sont soumises à un avortement eugénique forcé jusqu’à six mois de grossesse. Puis, un décret secret du 19 novembre 1940 prévoit l’avortement eugénique forcé des femmes « inférieures » ou dont la descendance paraît eugéniquement « indésirable ».

[117] Le 1er janvier 1981, fut promulguée la nouvelle « Loi du mariage de la République Populaire de Chine ». Les prétendants au mariage doivent obtenir un « certificat » pour avoir le droit de se marier. Le §2 de l’article 6 prévoit que le mariage n’est pas autorisé si l’un des deux partenaires souffre de « toute […] maladie considérée considérée par la science médicale comme rendant la personne inapte au mariage ». Or l’actuelle science médicale chinoise fait très bon accueil aux idées eugénistes. L’Université médicale de Zheijiang, la première faculté de médecine moderne établie dans le pays (1912), actuellement en pointe dans divers domaines de recherche (dont la génétique humaine) et comblée d’honneurs par le régime communiste, édite une revue intitulée Journal de Démographie et d’Eugénisme. En 1989, plusieurs provinces de la Chine communiste commencent à stériliser de force les handicapés mentaux. Dans les années qui suive, la stérilisation s’étend, en particulier pour les handicapés désirant se marier, dans un pays qui compte 51 millions d’handicapés. Le 27 octobre 1994, le régime communiste chinois promulgue une « Loi de Protection de la santé des nouveaux-nés », destinée à « améliorer la qualité de la population des nouveaux-nés » (art. 1). La loi avait d’abord été proposée sous le titre de « Loi d’eugénisme et de protection de la santé » en décembre 1993, mais vu le torrent de critiques qui s’abattit sur la Chine, celle-ci décida de la rebaptiser sous une formulation plus anodine. La Loi prévoit un examen médical et psychiatrique prénuptial avec dépistage obligatoire des « maladies génétiques d’une nature sérieuse » pour les couples désirant se marier (art. 8). « Les «maladies mentales concernées» se réfèrent à la schizophrénie, à la psychose maniaco-dépressive et à d’autres troubles mentaux d’une nature sérieuse » (LIHC, art. 38). Seuls ceux ayant obtenu le « certificat médical prénuptial » sont autorisés à se marier (art. 12). Les porteurs de gènes indésirables ne peuvent se marier qu’à condition de se faire stériliser par une « opération de ligature » ou par un contraceptif à long terme (art. 10). Toutes les femmes enceintes doivent subir un examen prénatal et les foetus anormaux ou porteurs de maladies génétiques de « nature sérieuse » sont obligatoirement avortés. En matière d’eugénisme (non racial), c’est la législation dans le monde qui est la plus proche de celle de l’Allemagne nazie.

[118] Ploetz, « Ziele und Aufgaben der Rassenhygiene, Leitsätze », brochure de 1910, cité par Günter Mann, « Neue Wissenschaft im Rezeptionsbereich des Darwinismus : Eugenik – Rassenhygiene », Berichte zur Wissenschaftsgeschichte, 1 (1978), pp.101-111, p. 108.

[119] R. S. Cowan, « Francis Galton’s Contribution to Genetics », Journal of the History of Biology (5) 1972, pp. 389-412 ; ibid., « Francis Galton’s Statistical Ideas: the Influence of Eugenics », Isis (63/ 219) 1972, pp. 509-528.

[120] Cité in Renate Rissom, Fritz Lenz und die Rassenhygiene, Abhandlungen zur Geschichte der Medizin und der Naturwissenschaften, n° 47, Matthiesen Verlag, 1983, p. 16.

[121] Cité in Rissom, Fritz Lenz und die Rassenhygiene, p.18.

[122] Erwin Baur, Eugen Fischer & Fritz Lenz, Grundriss der menschlichen Erblichkeitslehre und Rassenhygiene, Munich, J. F. Lehmann, 1921 (4e éd. du vol. 1 : 1936). Vol. 1 : Menschliche Erblichkeitslehre.

[123] Heiner Fangerau, Etablierung eines rassenhygienischen Standardwerkes 1921 – 1941 : der Baur-Fischer-Lenz im Spiegel der zeitgenössischen Rezensionsliteratur, Francfort / Main, P. Lang, 2001.

[124] Vol. 2, Fritz Lenz, Menschliche Auslese und Rassenhygiene, 1ère éd. 1921, 3e éd. 1931.

[125] F. Lenz, Menschliche Auslese und Rassenhygiene (Eugenik), 3e éd., Munich, 1931, p.550.

[126] F. Lenz, « Rassenhygiene und klinische Medizin », Klinische Wochenschrift, 12, 1933, pp.1570-1572 ; cit. in Rissom, p. 22.

[127] Autobiographie non publiée d’Otmar Freiherr von Verschuer. Tous mes remerciements à Helmut von Verschuer qui a aimablement accepté de me la communiquer.

[128] Voir

[129] O. von Verschuer, Erbpathologie, ein Lehrbuch für Ärzte, 1934; idem, Leitfaden der Rassenhygiene, 1941.

[130] G. Just (éd.), Handbuch der Erbbiologie des Menschen, Berlin, 1939 ff.

[131] Forschritte der Erbpathologie, Rassenhygiene und ihrer Grenzgebiete

* Volk veut dire « peuple » au sens de « populaire », mais aussi au sens de « Nation » et d’« ethnie ».

[132] O. von Verschuer, « « Der Erbarzt » – zur Einführung », Der Erbarzt, 1, 1934, n°1, pp.1-2.

[133] O. von Verschuer, « Woran erkennt man die Erblichkeit körperlicher Missbildungen ? », Archiv für klinische Chirurgie, 193, 1938, pp.185-203, cit. p.203.

[134] Baur-Fischer-Lenz, Menschliche Erblehre und Rassenhygiene. Vol. 1, 2e moitié, Erbpathologie, rédigé par J. Lange, F. Lenz, O. von Verschuer & W. Weitz, 5e éd., Munich, J. F. Lehmann, 1940.

[135] Verschuer, « Woran erkennt man die Erblichkeit körperlicher Missbildungen ? », Archiv für klinische Chirurgie, 1938, cit. p.185.

[136] Verschuer, « Woran erkennt man die Erblichkeit körperlicher Missbildungen ? », p. 202.

[137] H. Biesold, Klagende Hände: Betroffenheit und Spätfolgen in bezug auf das Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses, dargestellt am Beispiel der ‘Taubstummen‘, Solms-Oberbiel, J. Oberbiel, 1988. Voir mon compte-rendu pour le Bulletin of the History of Medicine (2001, vol.75, pp. 165-168) de la version anglaise H. Biesold, Crying Hands: Eugenics and Deaf People in Nazi Germany, Gallaudet UP, 1999.

[138] O. vonVerschuer, « Die Begutachtung der erblichen Taubheit. Allgemeine erbbiologische Grundlagen », Zeitschrift für Hals-, Nasen- und Ohrenheilkunde, 44, 1938, pp.147-160, cit. 160.

[139] Sur Nachtsheim, voir l’ouvrage excellent de Alexander von Schwerin, Experimentalisierung des Menschen. Der Genetiker Hans Nachtsheim und die vergleichende Erbpathologie 1920-1945, Göttingen, Wallstein, 2004.

[140] H. Nachtsheim, « Erbpathologie des Kaninchen. Ein Überblick über den gegenwärtigen Stand der Analyse seiner krnakhaften Anlagen », Der Erbarzt, 4, 1937, pp.25-55.

[141] U. Deichmann, Biologen unter Hitler. Vertreibung, Karrieren, Forschung, Francfort, Campus, 1992.

[142] Hans Nachtsheim, « Erpathologische Untersuchungen am Kaninchen (Demonstration lebender Tiere, von Präparaten und Filmen », in ZIAVL 73 (1937), pp. 463-467.

[143] U. Deichmann, Biologen unter Hitler, 1992, pp. 269-276 ; idem, « Hans Nachtsheim. A Human Geneticist under National Socialism, and the Question of the Freedom of Science », in Michael Fortun & Everett Mendelsohn (éds.), The Practices of Human Genetics, Dordrecht, 1999, pp.143-153 ; A. von Schwerin, Experimentalisierung des Menschen. Der Genetiker Hans Nachtsheim, 2004, pp. 201-228, 281-328.

[144] E. Rüdin, Studien über Vererbung und Entstehung geistiger Störungen. I. Zur Vererbung und Neuentstehung der Dementia Praecox, Berlin, 1916.

[145] Pauline H. Mazumdar, « Two Models for Human Genetics: Blood Grouping and Psychiatry in Germany between the World Wars », Bulletin of the History of Medicine (70), 1996, pp. 609-657.

[146] Matthias M. Weber, «Rassenhygienische und genetische Forschungen an der Deutschen Forschungsanstalt für Psychiatrie / Kaiser-Wilhelm-Institut in München vor und nach 1933 ». In : Doris KAUFMANN (ed.), Geschichte der Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft im Nationalsozialismus. Bestandsaufnahme und Perspektiven der Forschung, Göttingen, Wallstein, 2000, vol. 1, pp. 95-111; Doris Kaufmann, «Eugenische Utopie und wissenschaftliche Praxis im Nationalsozialismus. Zur Wissenschaftsgeschichte der Schizophrenieforschung». In: W. Hardtwig (ed.), Utopie und politische Herrschaft im Europa der Zwischenkriegszeit, Munich, 2003, pp.309-325

[147] Selon la méthode « allemande » de recherche sur les jumeaux, portant sur la comparaison de jumeaux mono- et dizygotes, la principale différence entre des jumeaux mono- et dizygotes tient à leur proportion de gènes en commun. Etant donné que leur environnement est supposé être assez proche, une forte divergence entre mono- et dizygotes, avec une concordance beaucoup plus forte chez les jumeaux identiques, indiquerait un rôle plus important de « l’hérédité » pour le caractère en question.

[148] Voir Pauline Mazumdar, « Two Models for Human Genetics ».

[149] Friedrich Panse, Die Erbchorea : eine klinisch-genetische Studie, Leipzig : Thieme, 1942.

[150] Sur la raciologie, voir B. Massin, « The « Science of Race » ». In: D. Kuntz & S. Bachrach (éds.), Deadly Medicine. Creating the Master Race, U.S. Holocaust Memorial Museum, Washington D.C., 2004, pp. 89-126

[151] Sur Günther voir : H.-J. Lutzhöfft, Der Nordische Gedanke in Deutschland, 1920-1940, Stuttgart, Ernst Klett 1971.

[152] Voir par exemple: H. F. K. Günther, Rasse und Stil, Munich, 1926 ; Rassengeschichte des hellenischen und des römischen Volkes, Munich, 1929.

[153] Il est le premier à recevoir en 1935 le « Prix du NSDAP pour la science », en 1937, il reçoit la « Médaille Rudolf Virchow » (ce grand libéral a dû s’en retourner dans sa tombe) et en 1941, il reçoit des mains de Hitler la « Médaille Goethe pour l’Art et la Science ».

[154] Voir B. Massin, « Anthropologie raciale et national-socialisme. Heurs et malheurs du paradigme de la « race » », in J. Olff-Nathan (éd.), La science sous le Troisième Reich, Paris, Seuil, 1993, pp.197-262 ; Massin, « From Virchow to Fischer: Physical Anthropology and « Modern Race Theories » in Wilhelmine Germany (1890-1914) », in G. W. Stocking (éd.), Volksgeist as Method and Ethic: Essays on Boasian Ethnography and the German Anthropological Tradition, coll. History of Anthropology, vol.8, Madison, University of Wisconsin Press, 1996, pp. 79-154 ; Massin, Le savant, la race et la politique, chap.7, Th.D.

[155] Ces cinq principales revues sont : Archiv für Anthropologie, Anthropologischez Anzeiger, Zeitschrift für Morphologie und Anthropologie, Zeitschrift für Rassenphysiologie, et Zeitschrift für Rassenkunde, auxquelles il faut ajouter, côté autrichien, Die Mitteilungen der Anthropologischen Gesellschaft in Wien.

[156] Sur la dimension « raciale » de la recherche sur les groupes sanguins en Allemagne, voir Pauline H. Mazumdar, «Blood and Soil: the Serology of the Aryan Racial State», Bulletin of the History of Medicine, 64, 1990, pp.187-219.

[157] En 1935, on trouve encore la collaboration d’un anthropologue soviétique (ZMA, 1935 [33]: 71-83).

[158] Tel l’American Journal of Physical Anthropology ou Journal of Heredity aux États-Unis ou L’Anthropologie en France.

[159] Zeitschrift für Rassenkunde und ihre Nachbargebiete. Avec la collaboration de (nous ne retenons ici exprès que les noms hors Allemagne-Autriche): B. Adachi (Kyoto / Japon); R. Biasutti (Florence/ Italie); J. Czekanowski (Lemberg / Pologne); Ch. B. Davenport (Washington, E.U.); A. C. Haddon (Cambridge, R-U); J. Imbelloni (Buenos Aires, Argentines); L. K. A. Iyer (Calcutta, Inde); J. P. Kleiweg de Zwaan (Amsterdam, Hollande), J. Kumaris (Athènes, Grèce); L. S. B. Leakey (Cambridge); P. de Lima (Porto, Portugal); H. Lundborg (Upsala, Suède); F. Sarasin & E. Speiser (Bâle , Suisse); G. Taylor (Chicago, E.-U.); H. Vallois (Toulouse, France); Ch. Ch. Yöng (Canton, Chine). Edité par Egon von Eickstedt, professeur et directeur de l’Institut Anthropologique et Ethnologique de Breslau. Paraît de 1935 à 1944. Après la guerre, le journal reparaît sous le nouveau titre de Homo. Il est toujours aujourd’hui l’une des principales revues anthropologiques allemandes.

[160] Max Marcuse, Compte-rendu des livres de Lenz, Siemens & Günther, Zeitschrift für Sexualwissenschaft, 9, 1923/24, pp. 226-231, cit. p.227, 229

[161] Cf. M. Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard-NRF, 1966, pp.137-176, cit. p.143.

[162] M. Wenzel, « Die Anthropologie Johann Gottfried Herders und das klassische Humanitätsideal », in : G. Mann & F. Dumont (éds.), Die Natur des Menschen. Probleme der Physischen Anthropologie und Rassenkunde (1750-1850), Soemmerring-Forschungen 4, Stuttgart, Gustav Fischer 1990, pp.137-168

[163] I. Schwidetzky, « Die institutionelle Entwicklung der Anthropologie », in I. Spiegel-Rösing & I. Schwidetzky, Maus und Schlange. Untersuchung zur Lage der deutschen Anthropologie, Munich, 1982 ; Massin, Chap.4, « De l’amateur éclairé au professeur:l’institutionnalisation de l’anthropologie allemande, 1869-1914 », Le savant, la race et la politique, Th.D.

[164] Cf. Chap. 15 in B. Massin, Le savant, la race et la politique, Th.D.

[165] Sur l’histoire du racisme nordique en Allemagne, voir Hans-Jürgen Lutzhöft, Der Nordische Gedanke in Deutschland, 1920-1940, Stuttgart, Ernst Klett, 1971.

[166] Reichsführer-SS Befehl Nr. 65, 31 décembre 1931, in SS-Standartenführer Prof. Bruno Kurt Schultz, « 10 Jahre Verlobungs- und Heiratsbefehl in der Schutzstaffel », Volk und Rasse, 1942, H.1, pp. 1-4.

[167] Isabel Heinemann, « Rasse, Siedlung, deutsches Blut. Das Rasse- und Siedlungshauptamt der SS und die rassenpolitische Neuordnung Europas, Göttingen, 2003.

[168] R. Koehl, RKFDV. German Resettlement and Population Policy, 1939-1945. History of the Reich Commission for the Strengthening of Germandom. Cambridge (MA), Harvard University Press, 1957 ; Czeslaw Madajczyk (ed.), Vom Generalplan Ost zum Generalsiedlungsplan, Munich, K. G. Saur, 1994 ; Mechtlid Rössler & Sabine Schleiermacher (éds.), Der « Generalplan Ost ». Hauptlinien der nationalsozialistischen Planungs- und Vernichtungspolitik, Berlin, Akademie Verlag, 1993 ; Bruno Wasser, Himmlers Raumplanung im Osten. Der Generalplan Ost in Polen, 1940-1944. Bâle, Birkäuser, 1993.

[169] M. Hillel & C. Henry, Au nom de la race, Paris, Fayard, 1975, pp. 156-58 (ce livre, sur les Lebensborn, doit être corrigé par G. Lilienthal, Der « Lebensborn e.V. Ein Instrument ns Rassenpolitik, Stuttgart, G. Fischer, 1985); Conte & Essner, La quête de la race. Une anthropologie du nazisme, 1995, p. 335.

[170] Voir en français, Edouard Conte & Cornelia Essner, La quête de la race. Une anthropologie du nazisme, Hachette, 1995, pp. 263-344.

[171] Isabel Heinemann « « Another Type of Perpetrator » : The SS Racial Experts and Forced Population Movements in the Occupied Regions», in : Holocaust and Genocide Studies, 2001 (15), pp. 387-411

[172] BDC-Search B. K. Schultz.

[173] A. Kiefer, Das Problem einer “Jüdischen Rasse“ : eine Diskussion zwischen Wissenschaft und Ideologie (1870-1930), Francfort /M., Peter Lange, Marburger Schriften zur Medizingeschichte, vol.29, 1991.

[174] E. Fischer, « Rassentsehung und älteste Rassengeschichte der Hebräer », pp. 121-136 & O. von Verschuer, « Rassenbiologie der Juden », pp. 137-151, in Forschungen zur Judenfrage, vol.3, Hambourg, Hanseatische Verlagsantalt, 1938.

[175] Voir H. F. K. Günther, Rassenkunde des jüdischen Volkes, Munich, J. F. Lehmann, 1ère éd. 1929; 2e éd. 1930 ; F. Lenz, in Baur-Fischer-Lenz, vol. 1, 1923, 1927, 1936 ; Egon von Eickstedt, Die Rassischen Grundlagen des deutschen Volkstums, Cologne, H. Schaffstein, 1934, pp. 28-31 ; Eickstedt / Holtz / Schwidetzky, Ausgewählte Lichtbilder (Begleitheft),1933, 19-21.

[176] Compte rendu par Marcuse du Baur-Fischer-Lenz, 1ère éd., 1921, dans la Zeitschrift für Sexualwissenschaft, 1921 (8): 232-37, cit. p. 237. Idem, 1923 [10]: 32. Idem, compte rendu collectif de Lenz, Menschliche Auslese und Rassenhygiene, 2e éd. 1923, H. W. Siemens, Grundzüge der Rassenhygiene, 1923 & H. F. K. Günther, Rassenkunde des deutschen Volkes, 3e éd. 1923, in Zeitschrift für Sexualwissenschaft, 1923 (10): 226-231, 227.

[177] Eugen Fischer, « Rassenentstehung und älteste Rassengeschichte der Herbräer », in Forschungen zur Judenfrage, vol.3, Hambourg, 1938, pp. 121-136, cit. p. 136.

[178] Verschuer, « Rassenbiologie der Juden », in Forschungen zur Judenfrage, vol.3, 1938, p. 149-151.

[179] O. von Verschuer, Leitfaden der Rassenhygiene, Leipzig, 1ère éd. 1941, 2e éd. 1944, pp.138-139 ; idem, « Bevölkerungs- und Rassenfragen in Europa », Europäischer Wissenschafts-Dienst, 1, 1944, n°1, pp.11-14, cit. p.11.

[180] Cf. Edouard Conte & Cornelia Essner, La quête de la race. Une anthropologie du nazisme, Hachette, 1995, pp. 219-229, 363-364 ; Beate Meyer, « Jüdische Mischlinge ». Rassenpolitik und Verfolgungserfahrung, 1933-1945, Hamburg, Dölling & Garlitz, 1999.

[181] Dans le tableau 2, ils figurent avec la mention RSA (pour Reichssippenamt). Sur les certificats raciaux, voir Georg Lilienthal, « Anthropologie und Nationalsozialismus: Das erb- und rassenkundliche Abstammungsgutachten », Jahrbuch des Instituts für Geschichte der Medizin der Robert Bosch Stiftung 6, 1989, pp. 71-91 ; H.-P. Kröner, « Von der Vaterschaftsbestimmung zum Rassegutachten », Berichte zur Wissenschaftsgeschichte 22, 1999, pp. 257-264 ; H. Seidler & A. Rett, Das Reichssippenamt entscheidet. Rassenbiologie im Nationalsozialismus, Vienne, Jugend & Volk, 1982.

[182] Sur la génétique raciale, voir Massin, « Rasse und Vererbung als Beruf. Die Hauptforschungsrichtungen am Kaiser-Wilhelm-Institut für Anthropologie, menschliche Erblehre und Eugenik im Nationalsozialismus », in: H.-W. Schmuhl (éd.), Rassenforschung an Kaiser-Wilhelm-Instituten, Göttingen, Wallstein, 2003, pp. 190-244 ; sur K. Magnussen et ses recherches, voir Hans Hesse, Augen aus Auschwitz. Ein Lehrstück über nationalsozialistischen Rassenwahn und medizinische Forschungen, Essen, Klartext, 2001 ; Klee, Deutsche Medizin im Dritten Reich, 2001, pp. 357-371 ; et Massin « Mengele, die Zwillingsforschung und die Auschwitz-Dahlem Connection », in : C. Sachse (éd.), Die Verbindung nach Auschwitz. Biowissenschaften und Menschenversuche an Kaiser-Wilhelm-Instituten, Göttingen, Wallstein, 2003, pp.201-254

[183] L’ouvrage le plus complet est  probablement: Michael Zimmerrmann, Rassenutopie und Genozid. Die nationalsozialistische “Lösung der Zigeunerfrage”, Hamburg, Christians, 1996. En français, voir Guenter Lewy, La Persécution des Tziganes par les nazis, Les Belles Lettres, Paris, 2003. Voir aussi la bibliographie dans Michael Burleigh & Wolfgang Wippermann, The Racial State. Germany, 1933-1945, Cambridge UP, 1991, pp. 113-127 & 364-367

[184] Feinderklärung und Prävention. Kriminalbiologie, Zigeunerforschung und Asozialenpolitik, Beiträge zur NS Gesundheits- und Sozialpolitik 6, Berlin, Rotbuch Verlag, 1988 ; Joachim S. Hohmann, Robert Ritter und die Erben der Kriminalbiologie. “Zigeunerforschung” im Nationalsozialismus und in Westdeutschland im Zeichen des Rassismus, Frankfurt, Peter Lang, 1991.

[185] Wolfgang Ayass, “Asoziale” im Nationalsozialismus, Stuttgart, Klett-Cotta, 1995.

[186] Johannes Lange, Verbrechen als Schicksal, Studien an kriminellen Zwillingen, Leipzig, 1929.

[187] Robert Ritter, « Die Aufgaben der Kriminalbiologie und der kriminalbiologischen Bevölkerungsforschung », Kriminalistik, 15/4, avril 1941, pp.1-4, cit. p.1.

[188] Robert Ritter, « Primitivität und Kriminalität », Monatsschrift für Kriminalbiologie und Strafrechtsreform, 31/9, 1940, pp.197-210, cit.p.197.

[189] Adolf Würth, « Bemerkungen zur Zigeunerfrage und Zigeunerforschung in Deutschland », Verhandlungen der Deutsche Gesellschaft für Rassenforschung, 1938 (9), pp. 95-98.

[190] Société médico-psychologique, séance du 22 décembre 1938, Revue neurologique, 71, 1939, p. 222.

[191] Robert Ritter, « Die Bestazndsaufnahme der Zigeuner und Zigeunermischlinge in Deutschland », Der Öffentliche Gesundheitsdienst, 6/21, 5 fév. 1941, pp.477-489.

[192] Götz Aly & Karl-Heinz Roth, Die restlose Erfassung : Volkszählen, Identifizieren, Aussondern im Nationalsozialismus, Berlin, Rotbuch, 1984/ 2000 ; Karl-Heinz Roth, « « Erbbiologische Bestandsaufnahme » – ein aspekt « ausmerzender » Erfassung vor der Entfesselung des Zweiten Weltkrieges », in idem, Erfassung zur Vernichtung, Berlin, Verlaggesellschaft Gesundheit, 1984, pp. 57-100 ; David Martin Luebke & Sybil Milton, « Locating the Victim: An Overview of Census-Taking, Tabulation Technology, and Persecution in Nazi Germany », IEEE, Annals of the History of Computing, 16 (3) 1994, pp. 25-39.

[193] F. Weidenreich, “On Eugen Fischer”, Science, 25 October 1946, p. 399.

[194] L. Fleck, Entstehung und Entwicklung einer wissenschaftlichen Tatsache. Einführung in die Lehre vom Denkstil und Denkkollektiv (orig. 1935). Mit einer Einleitung herausgegeben von Lothar Schäfer und Thomas Schnelle, Francfort, Suhrkamp, 1980. Pour une présentation contextualisée des idées de Fleck, voir L. Schäfer & Th. Schnelle, « Ludwik Flecks Begründung der soziologischen Betrachtungsweise in der Wissenschaftstheorie », en introduction de cet ouvrage, pp. VII-XLIX. L’ouvrage de Fleck, essentiel en histoire sociale des sciences, va enfin être traduit en français, aux éditions Les Belles Lettres.

[195] E.H. Ackerknecht, « Psychopathology, primitive medicine and primitive culture », Bulletin of the History of Medicine, 1943, 14: 30-67; cit. in P. Skrabanek & J. McCormick, Idées folles, idées fausses en médecine, Paris, Odile Jacob, 1992: 107.

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